Réécriture du conte le Poil de la moustache du tigre, de Muriel Bloch

juin
19


Le poil de la moustache du tigre met en scène une jeune femme coréenne qui veut guérir son mari de l’indifférence qu’il témoigne à l’égard de la vie. Le guérisseur lui démontre qu’il est toujours possible de trouver en soi les forces d’agir sur sa destinée.

Réécriture du conte le Poil de la moustache du tigre, de Muriel Bloch, éditions Albin Michel jeunesse, 2000.

Une jeune femme se prénommant Amour vivait avec son mari prénommé Tristesse, depuis plus de vingt ans déjà — depuis que Tristesse était revenu de Pékin, où il était allé étudier la langue chinoise dans l’intention de devenir interprète dans une organisation internationale.

Mais voilà qu’au fil des ans le désespoir s’était emparé de lui : il n’avait jamais pu accéder à un poste qui fût à la hauteur de ses ambitions. Il ne pouvait pas se résoudre à l’idée qu’il avait fait des études qui ne lui servaient à rien !

Au début, il avait accepté de petits contrats pour faire vivre sa famille, en espérant que son rêve finirait par se réaliser. Hélas, il n’avait fait que cumuler de petits emplois sans relation avec sa vocation.

Les années passant, l’homme avait fini par sombrer dans la dépression et par abandonner toute tentative de changement. Il devint l’ombre de lui-même, méconnaissable pour sa propre famille, ses amis, son entourage, et même son épouse. Il n’était que tristesse.

Il refusait toute implication dans la vie conjugale et familiale, passait de longues heures seul, toujours l’air absent, les yeux perdus dans le vague, à contempler l’horizon.

Il ne voulait plus parler à personne, se nourrissait à peine. Et pour fuir la réalité, il rejoignit un monde parallèle, pensant se défaire de son mal-être sans réellement y arriver.

Tristesse laissait échapper des soupirs pour un oui ou pour un non. Il ne faisait qu’errer telle une ombre dans sa propre demeure, et la maison devint un reflet de Tristesse.

Malgré tout cela, Amour l’aimait toujours, et voulait coûte que coûte sauver son ménage et épargner leurs deux enfants Bonheur et Richesse.

Bonheur, l’aîné de la famille venait d’avoir 23 ans. Il était heureux, il avait rencontré l’amour de sa vie : il était tellement heureux que sa maman Amour passait inaperçue à ses côtés. Il n’avait pas le temps de la réconforter, ou de lui parler. Il n’était pas question de lui faire perdre de temps : c’était le secret de la vie et du Bonheur.

Richesse avait trois ans de moins que son frère. Elle suivait des cours d’Art dramatique avec pour objectif de devenir un jour riche et célèbre. Elle avait toujours promis à sa maman Amour de lui offrir une luxueuse villa, une voiture avec chauffeur pour assister à des soirées mondaines, auxquelles celle-ci aimait tant participer.

Un matin, Amour entendit parler d’un guérisseur de l’âme, un sage qui serait capable de conseiller et d’aider les personnes en mal-être.

Amour reprit espoir et se rendit chez cet homme qui habitait à des dizaines de kilomètres de chez elle, pour qu’il l’aide à remédier à la mélancolie de son mari.

Mais le sage lui fit comprendre qu’aucune potion ne pouvait remédier aux maux du monde, et qu’il ne pourrait pas faire de miracle pour sauver ce monde, mais aussi ces hommes ayant perdu la tête.

Il expliqua encore à Amour qu’il connaissait bien ce genre de comportement des jeunes hommes qui se lassent de tout à la moindre difficulté, et lui demanda de s’armer de patience, lui disant que tout redeviendrait comme avant, puisqu’il suffirait à son mari d’un déclic.

Amour n’en étant pas convaincue, elle le supplia de l’aider, parce qu’elle estimait qu’il était son dernier recours et que seul son savoir pourrait l’orienter vers une solution.

Le sage ne savait que dire ! Il hésita un court instant et puis lui demanda, sans conviction, de revenir le voir dans trois jours. C’était le temps qu’il lui fallait pour réfléchir et trouver une solution susceptible de guérir son mari — tout en la mettant en garde qu’il ne garantissait nullement le succès de cette démarche.

Trois jours plus tard, Amour retourna voir le sage, comme prévu. Dès son arrivée, elle lui demanda s’il la reconnaissait. Le sage acquiesça et lui répondit qu’il avait longuement pensé à son cas, qu’il avait peut-être une piste pour résoudre son problème. Pour ce faire, il fallait lui ramener un concentré de patience pour l’aider à la réflexion : « Cela me permettra de vous guider vers une vie meilleure », lui précisa-t-il.

Amour ne put contenir son affolement face à cette demande improbable, et confia au sage qu’il était trop difficile, impossible même, de trouver ce concentré de patience. Mais le sage d’ajouter : « Pensez-y, toutefois, car il est indispensable de me ramener ce concentré afin que je réussisse à trouver la solution miracle qui rendra votre mari au temps de votre jeunesse ! Je suis sûr que vous réussirez. » Tournant alors le dos à Amour, il la laissa en proie à ses tourments.

L’épouse, malheureuse, rentra chez elle. Elle réfléchit longtemps au moyen de trouver ce que lui avait demandé le sage. Un jour, elle finit par accepter que ce que le sage lui avait demandé était indispensable pour restaurer l’harmonie au sein de leur couple, et que rien n’était impossible quand on était Amour !

Amour décida donc de partir en quête du concentré de patience. Elle commença par s’adresser à tous ceux qui aimaient son mari ou bien en avaient été proches. Elle avait préparé la liste de toutes les personnes qu’elle devait rencontrer pour leur demander de la patience, afin d’aider son mari à sortir de sa détresse et son mal-être.

Sa liste était bien longue : elle réunissait les amis intimes, des parents proches et éloignés du côté de son mari — ses parents, ses sœurs, ses frères, ses collègues de travail et bien d’autres. Amour songeait que cette démarche d’aller à la rencontre de tout ce monde serait pénible, d’autant plus qu’elle avait perdu tout contact avec eux depuis des lustres.

Mais Amour, quand elle décidait d’entreprendre quelque chose, rien ni personne ne pouvait l’arrêter. Elle avait organisé toutes ces rencontres et avait commencé par tout mettre en œuvre pour trouver la patience. Elle avait même prévu des voyages à l’étranger pour rencontrer ses beaux-parents et ses beaux-frères et sœurs. La première semaine, ce serait pour les amis ; la deuxième, pour les parents ; la troisième, pour les frères et sœurs de son mari, et ainsi de suite jusqu’à avoir casé toute sa liste dans son planning.

Amour avait donc commencé ses rencontres par les amis de son époux. À chaque fois, elle entendait le même discours — on aurait dit qu’ils s’étaient passé une cassette enregistrée : « Toi, tu es comme toujours, un amour, tu n’as pas changée, tu es agréable et gentille, mais ton mari est devenu insupportable… Il est devenu sinistre et sa compagnie est désagréable. On n’a plus de patience pour lui, on est désolé, mais la vie est courte et on a nos propres préoccupations ». Puis vint le tour de la famille, où chacun lui dit avec un certain regret : « On a essayé à maintes reprises de l’aider, mais il ne veut pas s’en sortir, et nous avons nos propres soucis et nos propres problèmes. On n’a pas de patience à lui donner. »

Après toutes ces rencontres et tout ce temps passé à demander vainement de la patience aux uns et aux autres, elle décida alors d’aller voir le Temps, qui voulut bien l’aider et lui donner la patience qu’il lui fallait.

Amour retourna voir le sage, et lui remit le concentré de patience pour l’aider dans sa réflexion et lui permettre de trouver un remède pour guérir son mari. Et puis Amour, après avoir raconté au sage son histoire, l’interrogea : « Mais pourquoi le Temps m’a-t-il aidé ? » Le sage sourit et répondit : « C’est parce que seul le temps est capable de comprendre combien est beau l’Amour. »

Amour s’en retourna chez elle, où elle retrouva son mari, perdu dans ses pensées mélancoliques. Posant la main sur son épaule, elle lui sourit. Ce ne serait pas du jour au lendemain que Tristesse redeviendrait l’homme enjoué qu’il avait été autrefois. Mais son épouse désormais savait qu’amour et patience viendraient un jour à bout de tous les maux.

                                                                                          Hayet ESSANA

LMRED 110 – Rédaction générale- Professeur : M. CONORT