Commentaire de la décision de la Cour Constitutionnelle Fédérale allemande du 18 juillet 2005 : mise en parallèle avec la décision de la Cour Constitutionnelle polonaise du 27 avril 2005 par Tiphaine MOYON

Plusieurs cours constitutionnelles européennes ont été saisies pour des questions de constitutionnalité du mandat d’arrêt européen (MAE). Le problème récurrent tient au fait que le MAE doit permettre la remise d’un citoyen par son propre Etat à un autre Etat membre de l’UE pour y être poursuivi pénalement. L’application du MAE se heurte donc aux dispositions constitutionnelles interdisant de manière absolue ou non l’extradition de nationaux vers un autre Etat : ce fut le cas en Allemagne et en Pologne. Les cours constitutionnelles des deux pays ont chacune apporté une solution résoudre cette question

L’instauration du mandat d’arrêt européen s’est opérée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, par la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres. Le mandat d’arrêt européen a pour but d’optimiser la lutte contre la criminalité, quelle qu’elle soit, au sein de l’Union européenne. Il marque une avancée considérable dans la volonté de renforcer la confiance mutuelle entre les Etats membres de l’Union. Cette confiance mutuelle repose, entre autres, sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. Dans le cadre du mandat d’arrêt européen ce principe se traduit par le fait que des citoyens peuvent être remis à une cour d’un autre Etat membre par leur propre Etat, afin d’y être poursuivi pénalement. C’est notamment sur ce point que des difficultés lors de l’application du mandat d’arrêt européen ont été rencontrées. En effet, au sein de plusieurs Etats membres s’est posé le problème de la constitutionnalité du mandat d’arrêt européen : l’extradition d’un citoyen par son propre Etat, même vers un autre Etat membre, n’est pas toujours prévue par la constitution des Etats, et lorsque c’est le cas, il y a toujours matière à interprétation des dispositions constitutionnelles. La question de l’application du mandat d’arrêt européen par un Etat membre à l’encontre de ses nationaux est d’autant plus importante qu’elle implique le respect des droits fondamentaux de la personne. A ce sujet, plusieurs cours constitutionnelles européennes ont été saisies. La question qui se pose est donc la suivante : quelles sont les solutions apportées par les cours constitutionnelles européennes saisies, afin de faire disparaître l’obstacle que constitue l’inconstitutionnalité du mandat d’arrêt européen, notamment en ce qui concerne l’extradition de nationaux vers un autre Etat membre de l’Union européenne ? Pour tenter de répondre à cette question nous nous arrêterons sur la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 18 juillet 2005 qui illustre parfaitement le propos. Cette décision sera mise en parallèle avec la décision de la Cour constitutionnelle polonaise qui présente de grandes similitudes quant à l’issue de sa décision mais des différences quant à la solution apportée, avec la décision allemande.

I - La décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 18 juillet 2005

1. Le contexte

Après les attentats du 11 mars 2003 en Espagne, le juge espagnol Baltasar Garzon avait mis en accusation M. Darkazanli, considéré alors comme un des relais financiers du réseau terroriste Al-Quaïda. Le juge Garzon avait ainsi demandé l’extradition de ce dernier vers l’Espagne depuis l’Allemagne où il résidait. Ainsi M. Darkazanli, arrêté en Octobre 2004, avait été placé sous écrou dans l’attente de son extradition. Celui-ci avait toutefois formé un recours devant la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Karlsruhe) contestant la légalité du mandat d’arrêt européen délivré à son encontre par le juge espagnol.

Le problème dans cette affaire résidait dans le fait que M. Darkanzali possède la double nationalité allemande et syrienne. En effet, la Loi fondamentale allemande (Grundgesetz), équivalent de notre constitution, dans son Article 16 alinéa 2 interdit l’extradition par l’Allemagne d’un de ses nationaux (Art. 16 al. 2 phrase 1 : « Aucun Allemand ne peut être extradé à l’étranger. »). Cette interdiction n’est toutefois pas absolue et connaît une limite : un ressortissant allemand peut être extradé vers un Etat membre de l’Union européenne dans la mesure où une loi, respectant les droit fondamentaux des citoyens, l’autorise expressément (Art. 16 al. 2 phrase 2 : « Une réglementation dérogatoire peut être prise par la loi pour l’extradition à un Etat membre de l’Union européenne ou à une Cour internationale, dans la mesure où les principes de l’Etat de droit sont garantis. »). C’est précisément ce cas de figure qui était pris en compte et donc réglementé par la loi sur le mandat d’arrêt européen du 21 juillet 2004 (Europäisches Haftbefehlsgesetz), loi de transposition allemande de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen. Pourtant cette loi présentait des lacunes certaines au regard de la Loi fondamentale allemande, puisque la Cour constitutionnelle fédérale l’a déclaré nulle dans son entier. La Cour a ainsi donné raison à M. Darkanzali, libéré après cette décision.

2. La décision elle-même

Comme il a été dit, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a déclaré la loi sur le mandat d’arrêt européen nulle car certaines de ses dispositions sont contraires à la Loi fondamentale.

Selon la Cour, la protection des ressortissants allemands, garantie par la loi sur le mandat d’arrêt européen, face à une procédure d’extradition vers un Etat membre de l’Union européenne est insuffisante pour deux raisons : d’une part, aucun recours devant un tribunal allemand à l’encontre de la décision autorisant l’extradition n’est prévu (violation de l’Art. 19 al. 4 Loi fondamentale : « Quiconque est lésé dans ses droits par la puissance publique dispose d’un recours juridictionnel. »), et, d’autre part, la loi restreint de manière disproportionnée la liberté d’échapper à une extradition (cf. Art. 16 al. 2 Loi fondamentale) car le législateur n’a pas utilisé toute la marge de manœuvre que lui permettait la décision-cadre, afin de garantir les droits fondamentaux. C‘est ce second aspect de la décision allemande, aspect sur lequel la Cour constitutionnelle fédérale a particulièrement insisté, qui sera développé dans la partie suivante.

II - La Cour constitutionnelle polonaise saisie d’un problème similaire à celui soumis à la Cour constitutionnelle fédérale allemande

L’instauration du mandat d’arrêt européen par la décision-cadre du 13 juin 2002, a donné lieu à des recours devant certaines cours constitutionnelles ou suprêmes européennes relatifs à la constitutionnalité ou à la légalité de ce mandat. La décision la plus évocatrice en la matière est la décision de la Cour constitutionnelle polonaise du 27 avril 2005. Cette décision possède en effet des similitudes importantes avec la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande.

1. L’application du mandat d’arrêt européen aux nationaux face au respect des droits fondamentaux Rappelons-le, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a déclaré que la protection des ressortissants allemands était insuffisamment garantie par la loi sur le mandat d’arrêt européen dans la mesure où celle-ci empiète de manière disproportionnée sur la liberté d’échapper à une extradition. La protection des citoyens allemands contre une extradition est garantie par l’Art. 16 al. 2 de la Loi fondamentale allemande. Cette protection est toutefois restreinte par le fait qu’un ressortissant allemand peut être extradé vers un Etat membre de l’Union européenne lorsque la loi le prévoit, cela dans le respect des droits fondamentaux.

Ainsi, le législateur allemand se devait lors de l’adoption de la loi sur la mandat d’arrêt européen de 2004 de veiller à ce que la mise en œuvre de l’objectif de la décision-cadre limite le droit fondamental d’échapper à une extradition de façon proportionnée. La décision de la Cour constitutionnelle déclare à cet effet que « le législateur doit, en particulier, en respectant l’essence même des droits fondamentaux, se soucier du fait que l’intervention dans le domaine de protection de l’Art. 16 al.2 de la Loi fondamentale se fasse avec tous les égards possibles ». La Cour parle même de confiance de l’individu poursuivi en son propre système juridique. Cette confiance est en particulier protégée par l’Art. 16 al.2 lorsque l’infraction commise présente un facteur de rattachement national notable. En principe, tout citoyen allemand qui commet une infraction pénale dans son propre espace juridique n’a pas à craindre une extradition vers un autre pays. Toutefois si cette infraction comporte un facteur de rattachement à un pays étranger, alors il sera susceptible d’être extradé vers ce pays. La Cour constitutionnelle a estimé que sur ce point la loi sur le mandat d’arrêt européen n’offrait pas suffisamment de garanties au citoyen allemand. Selon elle, le législateur aurait dû prévoir la possibilité de refuser l’extradition de citoyens allemands lorsque l’infraction commise présentait un facteur de rattachement national notable : or la loi en question ne le fait pas.

Sans revenir sur les faits ayant conduit à cette décision, la Cour constitutionnelle polonaise a rendu une décision similaire à celle de la Cour constitutionnelle fédérale allemande le 27 avril 2005. Elle a déclaré que l’Art. 607t al. 1 du code de procédure pénale polonais, permettant d’extrader un citoyen polonais vers un autre Etat membre de l’Union européenne sur la base d’un mandat d’arrêt européen, allait à l’encontre de l’Art. 55 al. 1 de la constitution polonaise qui dispose que « l’extradition d’un citoyen polonais est interdite ».

Après son entrée au sein de l’Union européenne, le 1er mai 2004, la Pologne a dû elle aussi mettre en application la décision-cadre du 13juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen, en intégrant son contenu au droit interne grâce à une transposition. Ainsi de nouvelles dispositions légales furent introduites dans le code pénal et dans le code de procédure pénale polonais par le biais d’une loi de transposition du 18 mai 2004. En l’occurrence, l’Art. 607t du code de procédure pénale, mis en cause par la Cour constitutionnelle, fait partie de ces dispositions ajoutées par la loi de transposition.

La situation semble donc être la même que la situation allemande.

Selon la Cour constitutionnelle polonaise l’interdiction d’extradition prévue par l’Art. 55 al. 1 de la constitution exprime le droit pour les citoyens polonais d’être tenus pénalement responsables devant une juridiction polonaise. Contrairement au droit allemand, et plus particulièrement ici à l’Art. 16 al.2 de la Loi fondamentale, le droit polonais tient l’interdiction pour un polonais d’être extradé par la Pologne vers un pays étranger pour absolue, et le droit individuel des citoyens qui en découle ne peut être soumis à aucune restriction. L’Art. 607t al. 1 du code de procédure pénale polonais est donc déclaré inconstitutionnel car il instaure une telle restriction.

Le problème majeur soulevé par les cours constitutionnelles allemande et polonaise porte donc sur la transposition inadéquate de la décision-cadre au sein du droit interne de chaque Etat. Pour cette raison les cours constitutionnelles de ceux des Etats ont déclaré les dispositions défaillantes inconstitutionnelles. Elles ont ainsi dû interpréter la constitution et notamment la disposition de la constitution relative à la protection des ressortissants, allemands ou polonais selon le cas, contre une extradition ainsi que les restrictions éventuelles à ce droit.

Que ce soit la Cour constitutionnelle fédérale allemande ou bien la Cour constitutionnelle polonaise, aucune des deux ne remet pourtant en cause le principe même de mandat d’arrêt européen. Par conséquent, à la suite de leurs constatations relatives à la transposition de la décision-cadre en droit interne, les deux cours constitutionnelles ont dans leurs décisions respectives demandé à ce que le droit allemand ou polonais soit adapté de façon adéquate aux exigences posées par la décision-cadre, tout en satisfaisant désormais à la garantie des droits fondamentaux.

2. Des issues similaires aux deux décisions mais des solutions différentes à apporter en droit interne

Sur l’application du mandat d’arrêt européen à l’encontre des nationaux, les cours constitutionnelles allemande et polonaise sont arrivées à une décision similaire, on l’a vu, celle de déclarer inconstitutionnelles les dispositions légales du droit national mettant en application la décision-cadre. Toutefois la position des deux cours est différente lorsqu’il s’agit des solutions à apporter afin de remédier à ce problème et permettre enfin une application du mandat d’arrêt européen à l’encontre des nationaux conforme à la constitution (allemande ou polonaise) et optimale, en Allemagne comme en Pologne.

La Cour constitutionnelle fédérale allemande a décidé que l’extradition de citoyens allemands vers un autre Etat membre en application d’un mandat d’arrêt européen n’est plus possible tant qu’une nouvelle loi de transposition de la décision-cadre n’aura pas été adoptée. C’est désormais chose faite puisqu’une nouvelle loi sur le mandat d’arrêt européen (Europäisches Haftbefehlsgesetz II) du 20 juillet 2006 a été adoptée. Il est bon de noter qu’entre le 18 juillet 2005, date de la décision de la Cour constitutionnelle, et le 20 juillet 2006, soit pendant un an, la Cour avait interdit aux autorités allemandes d’exécuter des extraditions de citoyens allemands telles que prévues par la première loi sur le mandat d’arrêt européen. En effet, les autorités étaient tenues d’appliquer les dispositions nationales sur l’extradition « classique », contenues dans la loi sur l’entraide internationale en matière pénale (Gesetz über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen – IRG).

La Cour constitutionnelle polonaise, elle, n’a pas préconisé de modification des dispositions légales en cause, à savoir notamment l’Art 607t al.1 du code de procédure pénale polonais. La Cour estime que ces dispositions resteront inapplicables tant que la Constitution n’aura pas été révisée. L’Art. 55 al. 1 de la constitution polonaise interdit de manière absolue l’extradition de ressortissants polonais. C’est précisément le fait que ce droit individuel ne souffre aucune restriction qui rend l’application du mandat d’arrêt européen en Pologne aussi problématique. La Loi fondamentale allemande a échappé à une telle révision constitutionnelle puisque l’Art. 16 al. 2 prévoit déjà une dérogation possible à l’interdiction d’extradition de nationaux allemands. Ainsi, tant qu’une révision de la constitution polonaise visant à établir une restriction à l’interdiction absolue d’extradition n’aura pas été faite, l’extradition de citoyens polonais sur la base d’un mandat d’arrêt européen restera impossible. A cet effet, la Cour constitutionnelle polonaise a accordé un délai de dix huit mois, à compter de la décision, au gouvernement pour lui permettre de mener à bien la révision constitutionnelle nécessaire. Par ailleurs, la Cour a disposé que la suppression de la valeur contraignante de la disposition légale contestée serait également reportée de dix huit mois : de cette manière, les tribunaux ne peuvent refuser de l’appliquer sous prétexte qu’elle serait inconstitutionnelle. En d’autres termes, la Cour constitutionnelle considère que la loi de transposition de la décision-cadre ayant introduit les dispositions légales contestées au sein du code pénal et du code de procédure pénal polonais reste en vigueur et doit être appliquée par les tribunaux polonais. Le délai accordé a expiré le 5 octobre 2006 : l’Art. 55 de la constitution polonaise a été modifié afin d’être adapté aux exigences requises pour l’application du mandat d’arrêt européen. Il est désormais ainsi rédigé (alinéas 1 et 2): 1. L'extradition d'un citoyen polonais est interdite, sauf dans les cas prévus dans les alinéas 2 et 3. 2. L'extradition d'un citoyen polonais ne peut être autorisée qu'a la demande d'un autre pays ou d'un organe judiciaire international si cette possibilité découle d'une convention internationale ratifiée par la République de Pologne ou d'une loi exerçant un acte légal institué par une organisation internationale dont la République de Pologne est adhérente, à condition que l'acte faisant l'objet de la demande d'extradition : 1. soit commis en dehors du territoire de la République de Pologne, et 2. constitue un crime aux termes de la loi de la République de Pologne ou aurait constitué un crime aux termes de la loi de la République de Pologne s'il était commis sur le territoire de la République de Pologne, tant au moment de commission de l'acte que de dépôt de la demande.

Conséquence de décisions de leurs cours constitutionnelles respectives, l’Allemagne et la Pologne ont dû adapter soit des dispositions légales, soit la constitution elle-même afin de pouvoir appliquer correctement le mandat d’arrêt européen à l’encontre des nationaux, cela dans le respect des droits fondamentaux. Les deux ordres juridiques ont de cette manière su s’adapter à toutes ces exigences, et, désormais, la constitutionnalité même du mandat d’arrêt européen, et plus particulièrement la possibilité d’extrader des citoyens allemands ou polonais, n’est plus remise en question.

Les décisions émises par la Cour constitutionnelle fédérale allemande ainsi que la Cour constitutionnelle polonaise ne sont cependant pas des cas uniques. En effet, d’autres cours constitutionnelles ou suprêmes européennes ont été saisies quant à la constitutionnalité du mandat d’arrêt européen. On peut citer le cas de la Cour d’arbitrage belge et celui de la Cour suprême chypriote, qui dans une décision du 7 novembre 2005, a également déclaré que l’extradition d’un ressortissant chypriote était contraire à la constitution.

Bibliographie : - Frank Schorkopf, Le mandat d’arrêt européen devant la Cour Constitutionnelle fédérale allemande, Editions Mohr Siebeck, Tübingen, 2006. - Cour constitutionnelle polonaise, décision du 27 avril 2005 – P 1/105, une version anglaise de la décision est disponible sur la page - Cour constitutionnelle fédérale allemande, décision du 18 juillet 2005 - BverfG, 2 BvR 2236/04, une version anglaise de la décision est disponible sur la page - Adeline Hazan (Rapporteur), in : Parlement européen, Document de travail sur l’impact du mandat d’arrêt européen sur les droits fondamentaux ; premières orientations en vue d’une recommandation au Conseil, 22.09.2005, disponible sur la page