Cour suprême des États-Unis, Johnson v California 543 U.S. 499 (2005) et Cour d'Appel de Paris, 10 Novembre 2001 (discriminations en milieu carcéral)

Bien que l'incarcération implique par nature une diminution des droits et libertés individuels, il est injuste d'imposer des restrictions supplémentaires pour des raisons non comportementales. À tout le moins, les prisons devraient sélectionner les programmes ou les détenus d'une manière qui réduirait au minimum les discriminations. La gestion des établissements pénitentiaires doit se faire de façon plus exigeante et doit se conformer aux différentes lois applicables dans le domaine. En effet, l'incarcération ne devrait pas être utilisée comme un mécanisme de déni systématique des droits de l'individu comme c'est parfois le cas. Les exemples étudiés ci dessous font état des dérives qui ont pu exister en France et aux États-Unis.

I– Discrimination raciale.

Dans l'affaire Johnson v Californie 43 U.S. 499 (February 23,2005), un détenu afro-américain a porté plainte contre le California Department of Corrections (CDC), alléguant que la politique de la CDC concernant l'allocation des cellules viole les droits constitutionnels en attribuant des compagnons de cellule aux détenus sur la base de la race. Depuis l'entrée de Johnson dans le système carcéral de la Californie en 1987, il a été transférée à plusieurs établissements différents. Pendant ses séjours dans ces différents établissements, il a toujours eu comme compagnon de cellule un autre détenu afro-américain. La CDC utilise plusieurs facteurs pour déterminer les emplacements dans les cellules à deux, y compris le sexe, l'âge, le score des tests effectués avant l'entrée en prison, la santé mentale et physique, si le détenu possède des « ennemis » dans la prison mal dit, l'appartenance à un gang, et la race. Bien que la race ne soit qu'un des nombreux facteurs, il est un facteur dominant. En effet, selon le CDC, les chances qu'un détenu soit affecté d'un compagnon de cellule d'une autre race est «proche de zéro pour cent ». Le CDC justifie cela en précisant que « d'après son expérience », la race est très importante pour les détenus et qu'elle joue un rôle important dans le comportement antisocial. En effet la CDC que la race est une préoccupation légitime car elle est à l'origine de nombreux comportements violent au sein des prisons. Ceci ne constitue pas une justification juridique. Cependant la CDC utilise cet argument pour justifier un standard de contrôle moins élevé. Selon la CDC le standard juridique plus élevé de strict scrutiny ne permet pas au personnel pénitencier de répondre au mieux aux violences quotidiennes dans les prisons.

 

Le tribunal de première instance a rendu un jugement en faveur des administrateurs de la CDC, estimant qu'ils possédaient une immunité. La Cour d'appel a confirmé ce jugement (sur des motifs différents). Appliquant le «  deferential equal protection test » qui avait été utilisé dans l'affaire Turner c. Safley 482 U.S. 78 (1987), U.S. Supreme Court , la cour suprême a déterminé qu'il y avait un lien de «sens commun» entre la politique d’attribution des cellules temporaire et les préoccupations de la CDC concernant l'aggravation des violences raciales dans le système carcéral. Ainsi la question posée à la Cour suprême des États-Unis était de savoir si la pratique systématique de la ségrégation des prisonniers pour une période d'au moins 60 jours devait être soumis au test de « strict scrutiny » comme toutes les autres discriminations liées à la race ou si cette pratique devait être soumise à un test moins rigide en vertu de Turner c. Safley. Par ailleurs, la Cour devait également décider si la pratique de la Californie de la ségrégation raciale systématique des prisonniers d'état pendant au moins une période de 60 jours violait la clause d'égale protection . La question rejoint le standard de contrôle qui doit être accordé à ce genre de pratique. En effet, s'il existe une violation du principe d’égalité (du XIVème amendement), il faudra alors appliquer le standard de strict scrutiny aux actions de la CDC. Cependant dans ce cas la Cour Suprême a décidé de ne pas trancher le point de savoir si la plainte relevait de la clause d'égale protection ou non.

 

En France la question de la discrimination en prison, se présente sous l'angle de la discrimination religieuse. Il faut noter qu'officiellement le concept de minorité n'existe pas en France. En outre, on ne parle pas de race comme aux États-Unis mais apparemment (cf. ci-dessous), on parle d’appartenance ethnique. Une ethnie se définit comme un groupe humain possédant un héritage socioculturel commun, comme une langue, une religion ou des traditions communes1. Cependant il faut noter que l'origine ethnique n'a pas d'existence juridique en France, on parlera parfois "d'origine géographique".

 

Le 10 novembre 2010 la Cour d'appel de Paris prononça un non-lieu dans l'affaire de tri ethnique à la prison de la Santé à Paris. SOS Racisme avait déposé plainte en 2000 après avoir constaté que les détenus de la prison de la Santé étaient logés selon leur appartenance ethnique. Les détenus étaient placés dans différents blocs de la prison en fonction de leur ethnie - « blancs », « noirs », « maghrébins », « asiatiques » et reste du monde. Le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris avait conclu au non-lieu dans une ordonnance, précisant que le tri ethnique à la prison de la Santé n'était pas discriminatoire. En effet, selon le juge, « ce système de répartition géographique des détenus ne génère pas, en soi, la privation de droits pour une catégorie particulière de personnes, ce qui serait constitutif d'une discrimination au sens du code pénal ». La Cour d'appel confirme cette décision. Cette décision peut sembler quelque peu étrange mais semble être justifiée par le fait qu'il soit devenu nécessaire de classer les détenus dans les prisons afin d'y maintenir l'ordre. Cette décision rappelle la doctrine « separate but equal » qui prévalait aux Etats-Unis jusqu'en 1954 . Elle servait à justifier le système de ségrégation. En effet, dès lors que les différentes races se voyaient offrir les même droits et étaient autorisées à utiliser les installation publiques de la même façon le Congrès considérait que la ségrégation était légale. Le fait de répartir les prisonniers selon leur ethnie ou leur religion est une manière de leur donner à tous la même chose tout en évitant les violences. Cette justification est acceptée par le juge français.

 

 

En France, de plus en plus d'étrangers se trouvent dans des établissements pénitentiaires. Cette situation semble poser de nombreux problèmes juridiques au système carcéral français. Selon la section française de l'observatoire international des prisons, « rien n'est prévu » pour les étrangers. La question est de savoir si quelque chose devrait être fait (comme par exemple l'adaptation de « l'emploi du temps carcéral » aux exigences des religions des uns et des autres) ou si tout le monde doit être traité de façon égale. Toujours selon l'observatoire international des prisons, cette présence d'étrangers dans les prisons françaises a entrainé une nouvelle pratique, celle du « tri ethnique ». Les détenus étrangers représentent environ 30% de la population carcérale française. La politique de certains établissements a été de regrouper les détenus par ethnie afin d'éviter les problèmes de violence à l'intérieure même de la prison.

 

Par ailleurs, il semblerait que le regroupement en fonction de l'origine ethnique des détenus soit un concept que les détenus eux-même préfèrent afin de pouvoir échanger et se soutenir. Cela permettrait de garder une certaine structure . Il faut noter que la prison effectue ce tri ethnique avant tout par souci sécuritaire .

En droit français le profilage ethnique n'est pas expressément interdit. Il n'existe pas de décision sur la légalité du profilage ethnique en prison. Cependant un rapport de la Commission anti-raciscme du Conseil de l'Europe a été publié le 15 Juin 2010 sur la question. Ce rapport critique la façon d'agir de la police qui semble utiliser le profilage racial dans sa politique du chiffre contre l'immigration illégale. Ainsi bien que cette justification semble être en voie d'être admise en droit européen , la question n'est pas encore complètement tranchée en droit français. Cette question est encore ouverte à débat.

 

Dans les établissements pénitentiaires français, le débat ne porte pas sur le fait qu'il existe une classification raciale. En effet, ce problème ne semble pas être pris en compte par le juge. Si la classification n'a pas d'impact négatif sur une classe précise d'individus, il n'y a pas lieu d'encadrer la pratique. En effet, une différence de traitement sera une considérée comme étant une discrimination seulement dans le cas où elle est illicite (utilisation de critères illégitimes). L'article 225-1 du Code pénal définit une discrimination comme étant «  toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » Cet article interdit clairement la discrimination basée sur l'appartenance ethnique de l'individu. Lorsqu'un critère d'identification utilisée pour un groupe aurait pu servir pour identifier un individu le groupe sera considéré comme souffrant d'une discrimination . Cependant dans sa décision la Cour estime que les individus ne souffrent pas de cette discrimination car ils ne sont privés d'aucun de leurs droits.

Le fait que les individus ne souffrent pas de cette discrimination n'est pas une justification suffisante. Cette décision rappelle la doctrine "separate but equal" qui a été abandonnée aux Etats-Unis il a plus de cinquante an. Cette justification n'a pas lieu d'être alors que le Conseil de l'Europe a critiqué durement certaines pratiques discriminatoires française comme il l'a été précisé précédemment.

 

Alors que dans sa décision la Cour d'appel ne se demande pas quel degré de « scrutiny » devrait être utilisé lorsqu'il s'agit de discrimination raciale, c'est là tout le problème que la Cour Suprême se pose dans sa décision Johnson v Californie. En effet, dès le début de son opinion, celle ci réaffirme que « toutes les classifications raciales faite par le gouvernent doivent satisfaire le test de « strict scrutiny ». Ainsi le gouvernent doit prouver qu'il existait un « compelling state interest » et qu'il n'existait pas d'autres moyens moins contraignant pour parvenir au résultat escompté. Cela n'impose pas une interdiction complète d'utiliser la race comme critère mais permet seulement d'encadrer une telle démarche afin qu'elle ne soit pas discriminatoire.

La Cour a rejeté l'idée que l'intérêt du gouvernent de prévenir les violence raciale l'exemptait du test de « strict scrutiny ». En effet selon la Cour, stigmatiser les détenus en fonction de leur origine ethnique pourrait simplement avoir l'effet contraire car en faisant cela le gouvernent perpétue l'idée qu'il existe différentes races et qu'elles s'opposent les unes aux autres.

La Cour estime que « l'intégration raciale » serait un meilleur moyen d'éviter les violences carcérales. Pour cela la Cour considère qu'il serait intéressant de prendre en exemple les politiques carcérales pratiquées par d'autres états. Dans la décision française, le juge ne se pose la question d'établir une politique particulière en prison. On peut se demander si cette marginalisation du problème est la meilleure solution pour éviter les futurs conflits en prisons.

 

II – Discrimination religieuse.

En France, une loi du 24 novembre 2009 dispose en son article 26 que « les personnes détenues ont droit à la liberté d'opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix... ». Cependant il faut noter que la liberté de culte doit s'exercer en tenant compte des nécessités d'ordre public. Dans les établissements pénitentiaires, la liberté d'aller et de venir n'existe plus, ainsi il faut s'en reporter à l'État pour aménager des lieux de cultes dans ces lieux. L'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 prévoit une dérogation au principe de laïcité en précisant que les budgets des personnes publiques peuvent financer « des services d'aumônerie » à fin d'assurer « le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».

Par ailleurs un rapport publié le 17 avril 2011 au Journal Officiel dénonce le statut de certaines religions qui parce qu'elles sont minoritaires ne seraient pas traitées de la même façon que les religions majoritaires. Cependant, dès qu'une religion est regardée comme telle, ses aumôniers doivent disposer de prérogatives identiques à celles données aux autres aumôniers. En effet de telles religions doivent pouvoir exister au sein même de l'établissement pénitentiaire et ne doivent pas seulement exister lors des visites de « parloir » aux prisonniers.

Une autre critique faite contre les prisons concerne les repas des prisonniers. En effet de nombreuses religions prescrivent un certains rituel alimentaire, notamment concernant la viande. Les prisons ne tiennent pas forcément comptes de ces prescriptions rituelles ce qui conduit certains prisonniers à ne pas consommer de viande et ce malgré les carences alimentaires qui en résultent. Enfin les prières représentent une part importante de nombreuses religions. Dans certaines prisons, il n'existe pas vraiment d'espace consacré à cette pratique, ce qui pose problème à certains prisonniers qui par conséquent ne se sentent pas en mesure de pratiquer leur religion de façon complète. Ces espaces doivent être neutre s'ils sont utilisés par différents aumôniers.

En France la discrimination dans les établissements pénitentiaires se ressent notamment à l'égard des prisonniers de confession musulmane. En effet, il semblerait que les personnes appartement à une « minorité » ne sont pas représentées par un nombre d'aumôniers égal ou équivalent à ceux d'autres religions et ce malgré le fait qu'elles soient surreprésentées dans la population carcérale (comparativement à la population générale). Ainsi, des différences culturelles ou religieuses peuvent mener à une différence de traitement entre les prisonniers ce qui est contraire au principe d'égalité. Par conséquent ces groupes de prisonniers ont souvent un risque plus élevé de se voir discriminer.

Tout comme les prisons américaines qui regroupent les prisonniers en fonction de leur origine ethnique mal dit, les prisons française sont souvent poussées à séparer les membres des différents groupes religieux afin d'éviter les risques de violence et de veiller à la sécurité de tous les prisonniers. Dans ce cas, se pose la question de la conformité au principe d'égalité d'un tel regroupement. la clause de protection égale du 14ème Amendement de la Constitution des États-Unis pourrait trouver à s'appliquer dans cette situation de discrimination religieuse . En effet, bien que cette clause n'implique pas d'égalité de résultats entre les individus, lorsqu'il existe des disparités trop grandes entre différents groupes d'individus, le gouvernement se doit de réagir et de remédier à la situation. Pour ce faire la France peut se reposer sur l'article 1 de sa constitution qui est quelque peu comparable au 14ème Amendement. Cet article indique : «  La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » En substance ces deux articles sont équivalents. Cependant ils n'ont pas la même portée dans les deux pays. Aux États-Unis, le 14ème amendement sert de support à de nombreuses plaintes concernant les discriminations alors qu'en France, il semble préférable de s’appuyer sur la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme .

Le Conseil d'Etat tout comme la Cour de Justice des Communautés européennes estime que le principe d’égalité impose que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale. En revanche, aux États-Unis la Cour Suprême estime qu'un traitement juridique différent de situations différentes n'est pas toujours nécessaire. De même en France, il n'y a pas d’obligation de distinguer.

Cette similitude permet de conclure que, bien les deux systèmes soient fondamentalement différents, ils se rapprochent dans une certaine mesure. Par conséquent une interprétation semblable à celle de la Cour suprême ne semble pas être complètement impossible en France, surtout lorsqu'il s'agit d'un problème de discrimination.

 

 

Bibliographie :

 

  • Commission consultative nationale des droits de l'homme, La lutte contre les discriminations en France et en Europe, Propositions adoptées par l'Assemblée plénière, 18 novembre 2004

  • Brandon N. Robinson, Johnson v California : a grayer shade of Brown, Duke Law Journal, 2006.

  • Avis du 24 mars 2011 relatif à l'exercice du culte dans les lieux de privation de liberté, Journal Officiel, 17 avril 2011

  • Erwin Chemerinsky, Constitutional Law ,Aspen Publishers, 3ème édition, 2009

  • Tim Owen, Prison Law, Oxford University Press, 3rd edition, 2003

  • Alfred Blumstein, Racial disproportionality of US prison populations revisited, University of Colorado Law Review, 1993

  • James Beckford, Muslims in prison: challenge and change in Britain and France, General editions, 2005

 

1 Amselle, M’Bokolo, préface à la seconde édition de 1999