L’expertise en procédure civile espagnole : un pas vers la libéralisation des moyens de preuves ? - par Sandrine Cullaffroz-Jover

Lorsqu’un cas d’espèce présente des aspects techniques particuliers, l’intervention d’un expert peut être utile à l’intelligence du litige. Or, pendant longtemps, le droit espagnol ne connaissait que l’expertise judiciaire diligentée par le juge, à l’instar de la procédure civile française. Depuis la promulgation de la « nueva LEC » en janvier 2000, le droit processuel espagnol s’est partiellement privatisé en institutionnalisant l’expertise unilatérale au côté de l’expertise traditionnelle, et en proposant ainsi un régime mixte tout à fait original. Le législateur, dans l’exposé des motifs de la loi, célébrait à sa manière « un siècle nouveau »…

La Ley de Enjuiciamiento Civil (LEC) 1/2000 du 7 janvier 2000 a intégralement réformé les dispositions qui organisaient jusqu’alors le procès civil en Espagne et qui dataient d’une loi de 1881 (art. 335 et s.). Le législateur prétendait instaurer alors une justice moderne en s’inspirant certes des modèles continentaux, mais surtout en innovant. Peut-être cet état de fait est-il dû à la frustration normative des années dictatoriales et à l’avènement d’une démocratie récente.

Aussi, la « nueva LEC » veille-t-elle à ce que les parties aient à leur disposition tous les moyens de preuves possibles pour soutenir leurs prétentions, conformément à l’article 24 de la Constitution Espagnole. A cette fin, l’organisation juridique de l’expertise a été particulièrement novatrice. La LEC, tout en conservant la figure de l’expert judiciaire désigné par le juge, règlemente l’expertise unilatérale, ou officieuse, requise par une partie au procès, jusqu’ici fruit de la pratique et souffrant d’une force probante nécessairement inférieure. Los dictámenes de peritos designados por las partes profitent aujourd’hui d’une consécration légale. En effet, les dispositions relatives à l’expertise envisagent indistinctement, d’une part, les rapports établis par des experts désignés par les parties, et d’autre part, ceux rédigés par les experts judiciairement désignés, leur accordant ainsi une force probante a priori identique (Article 335.1 LEC).

En France, malgré des réformes successives, le législateur n’a règlementé que l’expertise judiciaire. Dès lors, seul le technicien nommé par le juge peut se prévaloir de la qualité d’expert, dont la mission est de collaborer à la manifestation de la vérité ; tandis que les spécialistes mandatés par les parties ne sont que des consultants, dont la mission est de les assister (Article 161 CPC). Or, un arrêt récent de la Cour de Cassation affirme « que le juge peut fonder sa conviction sur un rapport d'expertise établi à la demande unilatérale d'une partie, dès l'instant qu'il a été soumis à la libre discussion des parties ; qu'en déclarant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 16 du nouveau Code de procédure civile et 1315 du Code civil » (Cass., Civ. 2, 11-05-2000, n° 97-19537). Dans un tel contexte, l’étude de la législation espagnole parait tout à fait utile, ne serait-ce que pour évaluer son opportunité.

Mais, l’institutionnalisation de l’expertise unilatérale doit-elle être comprise effectivement comme une libéralisation des moyens de preuves, ou une américanisation de la Justice? En tous les cas, il est certain qu’elle correspond à une modernisation de la procédure civile (I). Enfin, pour apprécier son efficacité, il convient de s’en remettre à une analyse critique (II).

I- L’institutionnalisation de l’expertise privée comme modernisation de la procédure civile

La régulation de l’expertise procède de la distribution des rôles dévolus au juge et aux parties dans le cadre du procès civil (a), et de l’exigence de soumettre la procédure au respect du principe du contradictoire (b).

a) La répartition des rôles du juge et des parties dans le cadre du procès civil

Les dispositions relatives à la nature juridique de l’expertise procèdent des dispositions relatives à la conduite du procès civil.

La procédure civile, en France comme en Espagne, est gouvernée dans un premier temps par le principe dispositif, c'est-à-dire que les parties sont tenues de décider seules de la matière du litige. Elles présentent alors au tribunal un certain nombre de prétentions, pour lesquelles elles auront à alléguer des faits, qu’il conviendra de prouver pour résoudre le conflit s’ils sont contestés par la partie adverse. Aussi, l’activité probatoire appartient déjà au traitement du litige, et la conduite du procès peut alors dépendre principalement des parties dans une procédure accusatoire, ou du juge dans une procédure inquisitoire.

L’exposé des motifs de la LEC met en garde le justiciable : « Il n’appartient pas à la Cour d’assumer la responsabilité de procéder à des recherches et à des vérifications sur la véracité des faits sur lesquels se fondent les prétentions des parties, mais c’est à celles-ci qu’il incombe la charge d’alléguer et de prouver ». Or, si les parties sont amenées à jouer un rôle prépondérant dans l’administration de la preuve, il faut pouvoir leur donner les moyens juridiques de réaliser cette prérogative. Pour cette raison, la LEC consacre l’expertise privée (Article 335.1 LEC). Si les parties l’estiment utile, elles peuvent désormais accompagner leur mémoire d’un rapport d’expert désigné unilatéralement (Article 336.1 LEC), ou le cas échéant, anticiper et « annoncer les rapports qu’elles souhaitent invoquer, lesquels seront présentés dès qu’ils seront disponibles, et, en tout état de cause, avant le début de l’audience préalable dans la procédure ordinaire, ou avant l’audience dans la procédure de jugement oral » (Article 337.1 LEC). Les parties peuvent toutefois préférer l’intervention d’un expert judiciaire (Article 335.1 LEC). La décision de diligenter une expertise judiciaire repose alors sur une demande expresse de l’une ou de l’autre des parties, toujours au moment de la présentation de la requête ou du mémoire en défense, et le juge reste en mesure de rejeter cette demande (Article 335.1 et 339 LEC). Ainsi, le juge espagnol ne peut désigner un expert que si les parties le sollicitent. Il ne peut pas le faire, en principe, de sa propre initiative, contrairement à son homologue français (Article 143 CPC), et ce n’est qu’exceptionnellement, dans des cas d’espèces très limités en rapport avec l’état civil ou la capacité des personnes, que le juge espagnol pourra désigner un expert d’office (Article 339.5 LEC). Enfin, si les deux parties ont exprimé la volonté de consulter un expert judiciaire, elles ont la possibilité de se mettre d’accord sur la désignation d’un expert judiciaire déterminé (Article 339.4 LEC). Par conséquent, d’une façon générale, l’expertise en droit civil espagnol est bien un instrument judiciaire, un moyen de preuve, mis à la disposition du justiciable dans le but de satisfaire pleinement au principe du dispositif et au principe accusatoire de la procédure.

En revanche, en France, le rapport de l’expert désigné par le juge n’est pas considéré comme un moyen de preuve. Techniquement, c’est une mesure d’instruction (Article 232 CPC). La loi française n’envisage que l’hypothèse de l’expertise judiciaire bien que les parties puissent également s’adjoindre les conseils d’un spécialiste en pratique (dans ce cas le rapport émis serait considéré comme un mode de preuve), et ce, principalement parce que le rôle du juge en procédure civile française est bien plus important qu’en droit espagnol. En effet, il a le pouvoir d’ordonner toutes les mesures d’instruction légalement admissibles, à la demande des parties ou d’office, chaque fois qu’il en apprécie souverainement l’opportunité (Article 143 et 144 CPC). Il a donc la possibilité de participer à l’administration de la preuve, sans pour autant suppléer la carence des parties (Article 146 CPC). Il en résulte qu’en France, l’expert judiciaire est qualifié plus volontiers de collaborateur de Justice, entretenant des liens très étroits avec le juge qui l’a désigné (Article 232 CPC) par des communications régulières sur l’avancement de sa mission (Article 273 CPC). Dès lors, il apparaît que le droit français a dévolu au juge le pouvoir d’encadrer l’expertise, en pensant s’assurer de la fiabilité de celle-ci. Toutefois, les parties ne sont pas exclues de la procédure et sont invitées à participer aux opérations et à débattre contradictoirement durant la phase d’expertise (Article 276 CPC).

b) L’expertise soumise au respect du principe du contradictoire

Le principe du contradictoire signifie que les parties doivent avoir la possibilité de discuter au cours du procès les arguments de faits et de droit qui leur sont opposés.

Dans le cas d’une expertise unilatérale, le débat contradictoire ne peut s’organiser qu’après la production du rapport du technicien, puisqu’il est désigné individuellement par une seule des parties. Aussi, en Espagne, la production d’une expertise privée se réalise « en tout état de cause, avant l’audience préalable dans la procédure ordinaire, ou avant l’audience dans la procédure de jugement oral » (Article 337.1 LEC). Dans la procédure ordinaire, l’audience préalable permet de régler des questions de procédures, comme la recevabilité des preuves par exemple, et de fixer le jour de l’audience, durant laquelle les témoins et les experts seront interrogés successivement par les parties et éventuellement par le juge s’il estime utile (Article 347 LEC). Ainsi, le législateur s’assure que les parties, en disposant des pièces le plus tôt possible, puissent défendre leurs intérêts au mieux. D’autre part, l’hypothèse de l’expertise unilatérale est particulièrement propice à l’exercice de la contradiction. En effet, les différents rapports vont opposer des arguments techniques, et garantir une véritable confrontation sur la base d’observations éclairées. De même, les experts sont amenés à comparaître devant le tribunal à la demande des parties (Article 337.2, 338.2, et 347 LEC), et à l’instar de la méthode anglo-saxonne de la cross-examination, ils devront répondre aux questions des avocats qui tenteront sans nul doute de discréditer l’analyse de l’expert qui ne va pas dans leur sens. La vertu de l’expertise unilatérale est donc, outre le fait de permettre à une partie de fonder techniquement ses prétentions, d’encourager une certaine dialectique, conforme à l’esprit du principe du contradictoire.

En France, des arrêts récents de la Cour de Cassation ont démontré l’importance du principe du contradictoire, précisément lorsqu’il s’agit d’une expertise unilatérale, et en l’absence de toute régulation de cette hypothèse. Ainsi, sur la base de l’article 16 CPC, « l'expertise amiable comme l'expertise unilatérale constituent un élément de preuve dès lors que le rapport, quoique n'ayant pas la valeur d'expertise, a été soumis à la discussion et à la contradiction des parties (Com., 15 février 2000, pourvoi n° 97-16.770 ; 10 juillet 2001, pourvoi n° 98-18.188 ; 1re Civ., 24 septembre 2002, Bull., I, n° 220, p. 169 ; 11 mars 2003, Bull., I, n° 70, p. 53) et que celles-ci ont eu la possibilité d'en discuter le contenu (2e Civ., 7 novembre 2002, Bull., II, n° 246, p. 191 ; 3e Civ., 23 mars 2005, pourvoi n°04-11.455) ». Par contre, « l'expertise officieuse, unilatérale ou amiable, n’est soumise au principe du contradictoire qu'à l'occasion de son invocation dans l'instance (2e Civ., 24 juin 2004, pourvoi n° 02-16.401) ». Dans le cadre d’une expertise judiciaire diligentée par un juge, la problématique est différente, puisque la mission est effectuée après l’ouverture de la procédure, par un expert indépendant. Il est donc possible de faire participer les parties aux opérations d’expertise (Article 276 CPC et Article 345 LEC), puis de faire comparaître l’expert pour apporter certaines précisions (Article 245 et 283 CPC et 338.2 LEC). Enfin, des précisions doivent être apportées sur la position de la CEDH sur l’application du principe du contradictoire à la mission d’expertise. L’arrêt Mantovanelli c/ France du 18 mars 1997 établit, sur la base de la notion de « procès équitable », en référence à l’article 6.1 de la CESDH, que « le respect du contradictoire vise l’instance devant un tribunal », et souligne que « l’essentiel est que les parties puissent participer de manière adéquate à la procédure » (Point 33§2). La Cour offre ici la possibilité aux Etats européens, nous semble-t-il, d’institutionnaliser les expertises officieuses, à l’instar du modèle espagnol. Cependant, il apparaît que dans certains cas d’espèces, le principe du contradictoire doive également s’appliquer aux opérations d’expertise, précisément lorsque la loi le prévoit, comme c’est le cas pour les expertises judiciaires. La Cour relève par ailleurs qu’en France, les conclusions de l’expert judiciaire sont particulièrement de nature à « influencer de manière prépondérante » l’appréciation des faits par le juge (Point 36). La Cour visait peut- être indirectement la relation privilégiée qu’entretiennent le magistrat et l’expert dans le système juridique français, au-delà de l’incompétence technique du juge et de la fiabilité des connaissances de l’expert judiciaire.

II/ Appréciation critique de l’efficacité de l’expertise unilatérale

La pratique révèle souvent les vertus et les lacunes des normes édictées par le législateur. Il convient donc de mesurer dans un premier temps l’opportunité de la législation espagnole sur l’expertise (a), avant de mettre à jour ses limites (b).

a) L’opportunité de la législation espagnole sur l’expertise

L’avantage d’un système mixte, hybride, telle que la régulation de l’expertise en procédure civile espagnole, est de proposer au justiciable un éventail de possibilités pour défendre aux mieux ses intérêts.

L’institutionnalisation de l’expertise unilatérale permet avant tout d’accorder un statut légal à une pratique répandue. En effet, pour des raisons stratégiques, il est toujours adroit de faire établir par un expert-conseil un rapport avisé sur les faits litigieux afin de fonder utilement des prétentions, et d’évaluer les perspectives de succès. Ainsi, la partie s’adjoint les services d’un avocat et d’un spécialiste, c’est-à-dire une assistance juridique et une assistance technique, et optimise ses chances de remporter le procès.

L’institutionnalisation de l’expertise unilatérale permet ensuite d’instaurer un régime légal qui va encadrer cette pratique. C’est une chose de reconnaître une pratique, s’en est une autre de l’encadrer légalement. Par exemple, au moment de produire leurs rapports, la LEC impose à tous les experts de prêter serment, et de promettre de dire la vérité, d’agir avec la plus grande objectivité possible en prenant en compte tous les arguments, favorables et défavorables, aux deux parties mises en cause dans le litige (Article 335.2 LEC). Cette disposition permet surtout de s’assurer de la bonne foi de l’expert, qui engage sa responsabilité sur le contenu du rapport, même s’il est particulièrement favorable à la partie qui l’aura contracté. Aussi, ce serment n’est pas seulement symbolique, puisque le non respect de ces préceptes est passible de sanctions pénales (Article 335.2 LEC). D’autre part, la LEC offre également aux parties le pouvoir de discuter l’impartialité de l’expert de la partie adverse et le rapport de l’expert unilatéral peut ainsi être entaché, à condition de prouver son irrégularité (Article 344 LEC). L’avantage de cette régulation est d’assurer l’efficacité et la crédibilité de l’expertise unilatérale.

L’institutionnalisation de l’expertise unilatérale permet, enfin, de proposer aux parties une Justice de qualité. Dans le système français, on a tendance à mesurer la qualité de l’expertise à partir de l’impartialité supposée de l’expert qui l’effectue. Or, l’impartialité de l’expert dépend pour beaucoup d’entre nous de la personne qui l’a désigné, et l’expert indépendant, nommé par le juge, semble nécessairement plus fiable. Toutefois, ce postulat n’est pas toujours vérifié, bien au contraire. En effet, les experts désignés par les parties sont souvent des professionnels qui ont à cœur d’argumenter leur analyse des faits. Le procès civil gagne alors en objectivité puisque le juge, s’il doit se laisser convaincre, se fiera à la démonstration la plus cohérente, la plus logique, et la plus crédible (Rappelons qu’en Espagne comme en France, le juge n’est pas juridiquement lié par le rapport d’expertise : article 246 CPC et article 348 CPC). Si l’expert judiciaire, grâce à son monopole, fait connaître son avis, les experts privés, eux, font valoir leurs conclusions au sein du forum de l’audience. De plus, bien souvent, dans le domaine des sciences, il arrive que s’opposent au moins deux écoles doctrinales. La Justice dit-on réclame la vérité…peut-être est-il plus honnête de reconnaître l’existence de plusieurs vérités, et de composer avec leur porte-parole.

b) Les failles de la législation espagnole sur l’expertise

Un système juridique hybride est souvent le produit de longues hésitations entre deux modèles distincts. Ces hésitations se ressentent généralement dans la lettre de la loi, qui manque parfois de clarté.

Les dispositions relatives à la règlementation de l’expertise dans la LEC sont moins le fruit d’une orientation juridique que d’un consensus politique. Dans le projet initial de la LEC, le gouvernement voulait instaurer un système accusatoire strict, où l’expertise unilatérale serait la règle, et l’expertise judiciaire l’exception, par exemple en cas d’assistance juridique gratuite. L’opposition a manifesté alors son désaccord en alléguant entre autres choses, que le développement des expertises privées allait nécessairement alimenter une surenchère dans le choix de l’expert et favoriser la partie la plus aisée financièrement, ce qui serait évidemment regrettable. Après plusieurs discussions parlementaires et une série d’amendements est né un consensus politique au profit d’un modèle mixte.

Les dispositions de la LEC sont susceptibles d’interprétations divergentes par les tribunaux nationaux. Parce que les dispositions ont été rédigées dans l’idée de satisfaire les partis politiques, il existe certaines incertitudes sur l’application de l’article 335.1 LEC. Cet article, qui instaure le système mixte de l’expertise, est l’objet de bon nombre de contradictions doctrinales et jurisprudentielles, principalement sur deux points : d’une part la compatibilité des deux mesures, expertises unilatérale et judiciaire, et d’autre part la valeur probatoire des différents rapports.

L’article 335.1 LEC ne semble pas indiquer clairement si le système dual de l’expertise est un système optionnel, c’est-à-dire si les parties peuvent avoir recours aux deux méthodes lors d’un même procès ou si elles doivent choisir entre la désignation d’un expert privé ou d’un expert judiciaire. Ce débat prend son origine dans la rédaction de l’article qui dispose que les parties, si elles l’estiment nécessaire, peuvent avoir recours à un expert de leur choix, « ou », demander au juge d’en nommé un. L’Auto del Juzgado de Primera Instancia de Bilbao du 27 octobre 2003 (AC 2003/1455) relève que la controverse est purement théorique, car l’administration des deux types d’expertises constituerait une pratique anti-économique. En effet, les parties ayant déjà réglé les honoraires d’un expert unilatéral - lequel est supposé rendre un rapport utile et conforme -, diligenter une tierce expertise reviendrait à renouveler une dépense qui n’est plus justifiée. Par contre, l’Auto del Juzgado de Primera Instancia de Santander du 4 décembre 2002 (AC 2002/1911), tranche en faveur d’une compatibilité des moyens d’expertise, en dépit de son caractère anti-économique, puisque « les parties peuvent désirer l’avis d’un expert judiciaire, pour qu’il renforce les arguments du rapport privé par elles présenté». Par conséquent, il existe une certaine insécurité juridique pour le justiciable. En effet, selon le tribunal compétent, le juge accordera ou non l’administration d’une seconde expertise.

Il convient de s’interroger également sur le crédit attribué à l’expert privé par rapport à l’expert judiciaire. L’arrêt du tribunal de Santander, précédemment cité, traite également cette question, et conclut, dans un style concis, qu’ « aucune hypothèse n'est préférable à l’autre », c’est-à-dire que pour apprécier un rapport d’expertise, le mode de désignation de son auteur ne doit pas entrer en ligne de compte. Le tribunal justifie cet argument en évoquant les travaux préparatoires de la LEC et affirme que le consensus politique qui s’en dégage est de nature à ne pas accorder plus de crédit à l’expert judiciaire. Pourtant, l’arrêt admet que « le justiciable puisse penser qu’il existe une résistance judiciaire eu égard à l’expertise unilatérale ». Ne serait-ce pas là l’aveu d’une certaine méfiance envers la libéralisation des moyens de preuves ?

BIBLIOGRAPHIE -Manuels: Ángel Vicente Illescas Rus, La prueba pericial en la Ley 1/2000 de Enjuiciamiento civil, Aranzadi, 2002; Eduardo Font Serra, El dictamen de peritos y el reconocimiento judicial en el proceso civil, La Ley, 2000; Ignacio Flores Prada, La prueba pericial de parte en el proceso civil, Tirant lo blanch, 2005; Jacques Boulez, Expertises Judiciaires, Delmas, 2006. -Articles: F. Hercot, L'expertise unilatérale: Opportunité et efficacité, Expertises des systèmes d'information, n° 236, 01/04/2000; F. Ferrand, Le principe contradictoire et l'expertise en droit comparé européen, RIDC 2000, p. 345; O. Leclerc, L’expert dans le procès aux États-Unis : si loin, si proche, Le mensuel de l’université, n°23, fév. 2008.