Le principe UNIDROIT 7.4.13 relatif à l’indemnité établie au contrat, par Carina Grigorian

Les principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international sont des principes dégagés par une organisation intergouvernementale. Ils ont vocation à régir les contrats du commerce international mais n’ont pas valeur contraignante et ne sont applicables qu’entre commerçants. L’article 7. 4. 13 concerne la clause pénale, c'est-à-dire la clause selon laquelle les parties s’engagent à exécuter le contrat sous peine d’une sanction prévue dans cette clause. Cette notion a été empruntée au droit allemand par le droit français, puis par les principes UNIDROIT. Certaines dissemblances demeurent, notamment en relation avec la fonction de cette clause.

La première comparaison germanophone des législations européennes sur la problématique des clauses pénales date de 1918 (Rukes, Die Vertragsstafe im internationalen Privatrecht- eine rechtsvergleichende Darstellung). De nombreuses parutions traitent de la question depuis et certains groupes de travail ont étudié cette institution légale qu’est la clause pénale afin de tenter une harmonisation, même une unification des législations des Etats membres sur ce point précis. Depuis la loi de 1975 en France, le juge a un pouvoir d’équité qui lui permet de s’immiscer dans l’autonomie contractuelle des parties pour réviser la clause pénale. Le juge allemand détenait ce pouvoir depuis la promulgation du BGB (Bürgerliches Gesetzbuch ; Code civil) en 1896 à travers le § 343. Cette disposition, empruntée donc au droit allemand, se retrouve également à l’art. 7.4.13 des principes UNIDROIT. Ces principes ont vocation à créer un droit international et pour ce faire ils s’inspirent fortement des législations nationales, ce qui est prévisible comme dans le cas présent, lorsque celles-ci sont déjà semblables.

  L’approche du concept semble intéressante dans une perspective de comparaison franco-allemande car la clause pénale (ou Vertragsstrafe) se distingue en droit français et allemand essentiellement par le but qu’elle poursuit.   L’importance de cette disposition était par ailleurs déjà soulignée depuis 1983 par la Commission des Nations Unies pour le commerce international qui a adopté  des «Règles uniformes relatives aux clauses contractuelles stipulant qu'une somme convenue est due en cas de défaut d'exécution ».   Deux lois françaises du 10 janvier 1978 ont encadré l’utilisation de la clause pénale dans des conditions strictes. En Allemagne une loi du 9 décembre 1976 portant réglementation sur les conditions générales de vente interdit les clauses abusives et les clauses pénales dans les conditions générales des contrats. Il semble que le législateur veuille diminuer l’importance de cette institution juridique dans un souci de protection de la partie faible.   Dans cet article il sera principalement question des clauses pénales convenues dans des contrats entre professionnels, l’intervention d’un profane excluant la possibilité d’application des principes UNIDROIT régis par la lex mercatoria.   Il sera intéressant de rechercher les dissemblances et ressemblances du concept de clause pénale dans les systèmes juridiques français et allemands et d’en analyser l’influence sur l’art. 7. 4. 13.   Nous verrons d’abord la place qui est accordée à la clause pénale en droit international à travers les différentes conventions et propositions (en s’attardant plus spécialement sur les principes UNIDROIT en raison de leur pertinence chronologique et leur utilisation relativement fréquente), puis nous nous intéresserons particulièrement à la clause pénale nationale, c'est-à-dire telle qu’elle est utilisée en droit français et allemand.

La clause pénale, une institution légale en droit international privé

Les règles supranationales et les propositions des groupes de travaux pour les clauses pénales

Sur le plan européen, la Convention Benelux tend dès le 26. 11. 1973 à harmoniser les droits au regard de la clause pénale. La Convention définit la clause pénale dans son article premier : « Est considérée comme clause pénale, toute clause selon laquelle le débiteur, s’il ne satisfait pas à son obligation, sera tenu à titre de peine ou d’indemnité, au paiement d’une somme d’argent ou à quelque autre prestation ». Sont visées les clauses pénales ayant une fonction réparatrice ainsi que les décisions qui engagent le débiteur à exécuter sa prestation. C’est ainsi que s’explique la double fonction de la clause pénale. L’adoption de la Convention a mis les pays du Benelux d’accord sur le maintien de la double fonction en raison de sa grande importance en jurisprudence.

  D’autre part la résolution du Parlement du 20.01.1978 bien qu’elle ne produise aucun effet direct sur les législations nationales des Etats membres, constitue une proposition faite aux juges d’interpréter les litiges concernant une clause pénale à la lumière de cette résolution.   Pour résumer, l’Europe continentale commence à développer un modèle de clause pénale visant à constituer un fondement pour l’émergence d’un droit commun. Les clauses pénales ayant pour but l’exécution des prestations du débiteur sont admises et dans le cas d’une somme jugée manifestement excessive, le juge peut intervenir pour diminuer le montant de la peine. Ceci est vrai en Allemagne depuis 1896 et depuis 1975 en France et atteste une nouvelle fois de l’influence des droits internes sur l’élaboration d’un droit européen harmonieux. Loin de constituer un phénomène d’hybridation du droit, la clause pénale est un élément fédérateur des droits européens.   La Commission Lando a travaillé sur une proposition pour un droit des contrats européen unique publiée en 1990 : « Principles on European Contract Law ». L’article 9 :509 (agreed payment for non performance) contient une disposition concernant les clauses pénales qui est équivalente à la définition d’UNIDROIT.

Les principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international sont des principes dégagés par une organisation intergouvernementale, l'Institut international pour l'unification du droit privé, en 1994 puis révisés en 2004. Ils ont vocation à régir les contrats du commerce international et sont une tentative d’unification d’un droit des contrats. Ces principes ne sont pas des règles juridiques au sens de l’association Henri Capitant selon laquelle la règle de droit est « la norme juridiquement obligatoire, quelle que soit sa source (règle légale, coutumière), son degré de généralité (règle générale, règle spéciale), sa portée (règle absolue, rigide, souple...) ». En effet les principes UNIDROIT n’ont pas de valeur contraignante pour l’ensemble des contrats du commerce international car ils ne s’appliquent que lorsque les parties ont décidé de les intégrer à leur consentement contractuel (préambule).

  Cet instrument a d’autre part pour vocation, dans l’hypothèse où ces principes ne seraient pas rendus obligatoire, d’inspirer en premier lieu les arbitres internationaux, voire les juges étatiques   L’article 7. 4.13 est la disposition qui vise les clauses pénales :

« 1. Where the contract provides that a party who fails to perform is to pay a specified sum to the aggrieved party for such non-performance, the aggrieved party shall be awarded that sum irrespective of its actual loss 2. However, notwithstanding any agreement to the contrary the specified sum may be reduced to a reasonable amount where it is grossly excessive in relation to the loss resulting from the non-performance and the other circumstances »

  Le premier paragraphe respecte la double fonction de la clause pénale mais les parties ne peuvent pas fixer le montant de la peine comme montant minimum de dommages et intérêts.   A la lecture de l’article 7. 4. 13 on peut conclure que les principes UNIDROIT se sont eux aussi inspirés des droits d’Europe continentale car ils reconnaissent la double fonction de la clause pénale.

Une seconde proposition d’unification soutenue par les Nations Unies est celle de l’UNICITRAL (United Nation Commission of International Trade Law). L’UNICITRAL formule une proposition en 1983 intitulée «Uniform Rules on Contract Clauses for an Agreed Sum due upon Failure of Performance». Les Nations Unies ont adopté la proposition comme « model law ». Son article premier contient une définition de la clause pénale semblable à celles précitées. Dans l’hypothèse d’un manquement à l’obligation issue du contrat, le créancier n’est pas recevable à demander l’exécution de la prestation et le paiement de la somme contractée. Le cumul des fondements est exclu sauf dans l’hypothèse où la somme contractée ne peut pas être considérée comme une compensation pour le manquement. Nous verrons plus tard que le droit allemand et le droit français divergent sur ce point, ce qui s’explique par la différence de fonction de la clause pénale dans ces deux systèmes.

L’utilisation de clauses pénales dans les contrats internationaux

Les clauses pénales ont une place significative dans les contrats internationaux. Leur utilisation dans le commerce international devrait être une règle selon Delacollette. La notion de contrats internationaux peut être décrite en empruntant la définition du doyen Batiffol de 1968 selon laquelle « un contrat a un caractère international quand, par les actes concernant sa conclusion ou son exécution, ou la situation des parties quant à leur nationalité ou leur domicile, ou la localisation de son objet, il y a des liens avec plus d’un système juridique ». Le groupe de travail « contrats internationaux » a eu pour objectif dans les années 1980 de rassembler et analyser les clauses habituellement utilisées dans les contrats commerciaux internationaux. Il est arrivé à la conclusion que les clauses pénales sont « extrêmement fréquentes » dans les contrats internationaux et qu’elles existent dans des types variés de contrats (contrats de leasing, transport, licence…). Dans la majorité des cas étudiés, il s’agissait d’introduire des clauses pénales dans l’objectif de s’assurer de l’exécution en temps et heure de l’obligation du cocontractant. Lorsque les parties concluent un contrat à caractère international, il est légitime de se poser la question du droit applicable. Il est intéressant de définir dans quelles mesures les règles du droit international privé constituent un frein à l’autonomie de la volonté des parties à prévoir les conséquences d’une violation contractuelle. On peut se demander dans quelles mesures les parties ont le pouvoir d’influencer le droit applicable à la clause pénale.

  Selon le droit allemand, le droit applicable aux clauses pénales est celui qui s’applique au contrat, c'est-à-dire, si les parties n’ont rien prévu, la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits (art. 4-3 Convention de Rome).  Les parties peuvent aussi choisir la loi à laquelle elles veulent soumettre leur contrat (art. 27 I s.1 EGBGB- Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch ; préambule du code civil). Les dispositions choisies par les parties ne pouvant déroger aux règles appartenant à l’« ordre public », on peut se demander si les parties peuvent éviter l’intervention du juge dans le contrat. L’« ordre public » codifié au §6 EGBGB est appelé ainsi en droit allemand par abus de langage car il est emprunté au droit français mais désigne en réalité l’ordre public international. En d’autres termes le §343 BGB qui prévoit l’intervention du juge dans l’hypothèse d’une clause pénale dont la sanction est excessive est-il une norme d’« ordre public »? Le seul fait que le § 343 BGB ne puisse pas être contourné en droit national ne consacre pas son appartenance à l’ « ordre public ». C’est une condition nécessaire mais insuffisante. La question n’est pas tranchée. La majorité de la doctrine estime que la protection nécessaire de cette norme lui donne un caractère « d’ordre public ». D’autres auteurs prétendent qu’une règle qui n’est pas applicable en droit commercial ne peut constituer une règle fondamentale du droit allemand. En effet, le §348 HGB (Handelsgesetzbuch ; code de commerce) précise qu’une clause pénale contractée par un commerçant ne peut pas être diminuée sur le fondement du § 343 BGB.   Le droit français consacre aussi l’autonomie de la volonté pour le choix de la loi applicable à un contrat international car cette règle découle de la Convention de Rome art. 3. Le juge ne peut intervenir dans le contrat que dans l’hypothèse d’une fraude à la loi. On peut se demander quelles règles concernant les clauses pénales appartiennent à l’ordre public international français auquel la loi choisie par les parties ne peut déroger. L’article 1152 al. 2 du code civil (Cc) répute expressément non écrite toute stipulation excluant l’intervention du juge dans le montant de la peine. De façon analogue au droit allemand, l’impossibilité de déroger est une condition nécessaire mais non exhaustive. La doctrine et la jurisprudence n’ont pas tranché la question, mais comme en droit allemand, la doctrine majoritaire privilégie l’appartenance à l’ordre public international.

Les règles appartenant à l’ordre public international n’entrent en compte que lorsque la législation choisie ne présente pas une protection équivalente. Dans les deux systèmes juridiques présentés, le commerçant est toujours protégé contre des clauses pénales excessives. Les cas sont donc rares dans lesquels le juge devra intervenir sur le fondement de l’ordre public international des articles 1152 Cc ou §343 BGB pour diminuer la peine.

La nature juridique de la clause pénale

La notion de clause pénale et ses fonctions

En droit allemand, la clause pénale est codifiée aux §§ 339 ss. BGB. Aucune définition légale n’y est prévue. Dans la plupart des cas, la prestation due est le paiement d’une somme d’argent. Le § 342 prévoit cependant la possibilité de s’engager à fournir toute autre forme de prestation.

  Le droit allemand distingue deux types de clauses pénales : les dépendantes, dites clause pénales « réelles » et les indépendantes dites « irréelles ». Tandis que dans les clauses pénales réelles l’obligation est contractuellement ou légalement exécutoire ce qui lui confère un rôle de renforcement du devoir découlant du contrat ou de la loi, les clauses pénales irréelles servent à assurer un comportement extralégal ou extracontractuel. Le § 339 BGB n’est expressément applicable qu’aux clauses pénales réelles. Il faut alors se demander comment sont utilisées les clauses irréelles et s’il faut leur appliquer un régime identique à celui des clauses pénales réelles. Les §§ 340 II et 341 II BGB partent du principe que la partie lésée a la possibilité de demander des dommages et intérêts en plus de la peine prévue par la clause pénale. Ces articles règlent les relations entre les clauses pénales et les dommages et intérêts concurrents. Or les clauses pénales irréelles supposant l’inexistence d’un contrat, la demande de dommages et intérêts serait irrecevable. La jurisprudence et la majeure partie de la doctrine considèrent cependant qu’en raison de l’identité d’objectif poursuivit, les règles de l’une sont applicables à l’autre.   La clause pénale peut avoir plusieurs fonctions. Elle peut être une assurance de l’exécution d’une obligation contractuelle ou légale, elle peut servir à accorder réparation au créancier et enfin elle peut être une sanction pénale personnelle.

a. l’assurance de l’exécution d’une obligation

  La clause pénale est un moyen de pression efficace pour s’assurer de l’exécution de son obligation par le cocontractant. Celui à qui il incombe de fournir une prestation s’engage en cas de non-exécution ou de mauvaise exécution à recevoir une peine, le plus souvent pécuniaire. La pression est d’autant plus accrue que la somme contractée peut être supérieure aux éventuels dommages et intérêts que le débiteur aurait eu à payer.

b. l’indemnisation

  La somme prévue dans la clause pénale sert en théorie à indemniser la victime. Elle compense au moins le préjudice minimum. Ce système permet de simplifier, voire d’éviter un procès pour versement de dommages et intérêts. Cette fonction n’apparaît cependant que de manière indirecte dans les paragraphes allemands.  Dans l’hypothèse d’une clause pénale conclue pour parer l'éventualité d'une mauvaise exécution, le § 341 I permet au créancier d’obtenir, outre l'exécution de la prestation, la pénalité encourue. Ceci est l’expression du caractère comminatoire de la clause pénale. Les §§ 340 I et 341 II BGB autorisent également le cumul de la peine et des dommages et intérêts si le préjudice se révèle supérieur au montant de la clause. Le cumul des sanctions a une fois de plus un effet dissuasif. Il est enfin intéressant de relever que la sanction est due indépendamment du trouble causé au créancier. En cas d’inexécution le débiteur semble alors sanctionné pour son comportement fautif par une vraie peine.

c. sanction individuelle

  Aux termes du § 339 BGB, « le débiteur s’engage au paiement d’une somme d’argent à titre de peine ». Cette peine n’est cependant pas considérée comme une peine personnelle en droit allemand car les peines prévues par les clauses pénales renvoient à une idée d’équité et de réparation tandis que les peines individuelles visent l’auteur lui-même et son comportement répréhensible.

Les clauses pénales sont codifiées en droit français aux articles 1152 ainsi que 1226 ss. Cc. Les notions en droit allemand et français sont identiques. La prestation est le plus souvent une somme d’argent mais l’art. 1226 Cc prévoit que le débiteur s’engage à « quelque chose » en cas d’inexécution. Le droit français ne connaît pas la distinction allemande des clauses réelles et irréelles.

  La fonction d’assurance de l’exécution de l’obligation est moins axée sur la pression qu’en droit allemand. Il existe une différence de degré dans la crainte que procure la clause pénale allemande. De plus, la clause pénale a une fonction double en droit français contrairement au droit allemand où, nous l’avons vu, sa fonction d’exécution des obligations est manifestement prépondérante. L’art. 1229 al. 2 prévoit que le créancier ne peut en principe demander en même temps le principal et la peine. Le droit allemand prévoit la réparation intégrale du préjudice. La seconde fonction de la clause pénale française est la forfaitisation de la réparation du préjudice. Ainsi si la somme de la peine prévue s’apparente à la somme d’éventuels dommages et intérêts, alors la pression exercée par la clause sur le débiteur est bien moindre. « La clause pénale n’apparaît plus que sous le voile de la réparation et comme une figure juridique dont les lettres de noblesse sont demeurées dans le passé. »

Il ressort de tout ce qui précède que la clause pénale dont certains auteurs prétendaient qu’elle a perdu de son intérêt, a connu un regain d’importance à travers la multiplication des contrats internationaux et a été le centre d’études des groupes de travaux internationaux. Elle est une institution du droit positif car à travers les peines rigoureuses qu’elle inflige en cas d’inexécution, elle protège la valeur patrimoniale que constitue le contrat.