C’est un dimanche soir, lors d’une répétition de la pièce, que nous sommes allées interviewer Ana-Lucia Luna au Théâtre des Amandiers de Nanterre. Ambiance très chaleureuse et détendue, où plane un nuage d’humour. Nous assistons à cette répétition et prenons un malin plaisir à découvrir la pièce en « avant-première »… Propos caricaturaux mis de côtés, elle privilégie les métaphores et les sous-entendus. Pas déçues pour un sou, nous voilà emballées par ces petites scènes que joue la troupe, composée essentiellement d’amis, pour qui le théâtre est une passion. On ne résiste pas à lui demander si être l’amie et la metteur en scène pose un problème ? Résolue et lucide, Ana-Lucia – seulement vingt-cinq ans -  nous confie : « Il est parfois difficile de faire preuve d’autorité mais nous arrivons à trouver quand même le juste milieu. De toute manière, tout le monde a une bonne faculté d’adaptation. » Cette pièce, elle l’a réalisée sans aide. Débrouillarde, elle raconte : «Quand on n’a pas de structure associative, on n’a pas de financement. C’est moi qui ai dépensé pour les décors. J’essaye d’économiser, je fais des emprunts. Je compte aussi sur la gentillesse des gens et mes connaissances pour m’aider à trouver du matériel par exemple.» 
L’immigration ? Thème vu et revu. Or, ici, l’originalité est de travailler la rencontre des langues et leurs subtilités. Ana-Lucia insiste : « On peut comprendre au-delà des mots. Personne n’est anonyme. » Que doit-on comprendre ? L’humain semble devenir une construction sémantique qui lui empêche d’être invisible. Et oui, car la sonorité et la tonalité d’un mot ou d’une phrase, même dans une langue étrangère qu’on ne comprend pas, sont belles et bien audibles – visibles, donc. Si ce n’est pas par conviction politique, pourquoi avoir choisi ce thème ? La pièce est « le résultat et la conséquence de l’époque», nous dit-elle, avant d’ajouter :   « C’est l’époque qui a pondu ça. Ma pièce est forcément imprégnée de l’actualité, mais ce n’est pas seulement du discours politique. »  Alors, on lui demande si on peut parler d’une fiction réelle ou d’une réalité fictionnalisée ? Elle réfléchit et nous répond, en nous surprenant presque : « La vie est tellement caricaturale qu’elle en devient fictive. Elle est tout sauf neutre et équilibrée. » Si cette pièce reflète la vie quotidienne en France, Ana-Lucia est allée à la rencontre d’immigrés pour nourrir son scénario, mais surtout, pour l’écrire. Lors de l’occupation de l’église Nanterre par les sans-papiers, elle raconte qu’elle était attentive « aux mots dont ils se servaient » pour qu’elle puisse raconter leurs vies. Les voir et les raconter, c’est assurer qu’ils existent et « que ce ne sont pas que des pourcentages.» Et elle continue : « C’est moins abstrait. Ce sont des gens qui ne sont pas que malheureux, qui savent s’amuser aussi. » Lorsqu’elle passe des moments avec eux, elle ne leur parle pas de leurs conditions mais discute et étudie les rythmes et mystères du langage.
Un brin revendicatrice et universaliste, elle estime que son message pour les futurs spectateurs serait de « ne pas penser la France comme une propriété privée mais de la penser pour tout le monde. C’est parce que j’aime ce pays, que je veux en parler. De toute manière, je pense qu’à l’heure d’aujourd’hui définir une identité nationale en France est quelque chose de vain. Personne n’est anonyme : mes trois personnages principaux sont trois personnes, personnages de leur propre histoire. J’ai réalisé un travail autour de la langue et au-delà des langues.» Et elle fait bien, très bien.
Et pour le futur ? Elle aimerait continuer à jouer cette pièce dans d’autres salles. Et puis, pourquoi ne pas ouvrir les pages d’une nouvelle histoire :« J’ai déjà mille projets d’histoires en tête », s’enthousiasme-t-elle. Et nous avec elle.



Sarah Kermen
Elsa Heuyer


 A part ça tout va bien, d’Ana-Lucia Luna, jeudi 2 décembre 2010, 19h-20h25, Théâtre Bernard-Marie Koltès, Université Paris X Nanterre La Défense, Entrée Libre


 


 





 

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