Pour en savoir plus à propos du fameux spectacle de clôture, nous avons voulu interroger l'initiatrice du projet et metteur en scène de l'Indicible Compagnie.  Nous avons eu le privilège de pouvoir rencontrer l'artiste chez elle,  à sa table de travail.


MCEI : Sandrine Lanno, pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Sandrine Lanno : J’étais en thèse d’économie lorsque j’ai commencé à suivre des cours d’art dramatique. Très vite, je me suis orientée vers la mise en scène, qui m’offrait un grand espace de liberté tout en étant au service du collectif. Ma première mise en scène, au sein de l’école, était une adaptation des Lettres à une amie vénitienne, de R. M. Rilke. Aujourd’hui, pour le festival de Nanterre-sur-scène, je reviens à l’adaptation, en présentant une sélection de Sonnets de Shakespeare.

 

MCEI : Justement, d’où vous est venue l’envie de travailler sur ces poèmes ?

S. L. : C’est en entendant certains sonnets dans Hamlet-Cabaret, mis en scène par Mathias Langhoff, que j’ai eu envie de créer autour de ces vers. Avec la musique comme porte d’entrée. Dans la mise en scène, il me faut toujours une porte d’entrée, et en ce moment, c’est la musique !

 

MCEI : Pourriez-vous nous présenter brièvement votre création ?

S.L. : Je crois que ce festival s’inscrit particulièrement dans un esprit de performance ; il m’a donc semblé opportun de travailler à partir du concept « théâtre-concert », dans une forme courte de trente à quarante minutes. J’ai choisi dix sonnets et deux interprètes : Mélanie Menu, Theo Hakola. L’une est française, l’autre américain. Je trouvais intéressant d’entendre des sonnets dans la langue shakespearienne, interprétés par quelqu’un qui maîtrise parfaitement l’anglais. Il y aura donc des sonnets en français, d’autres en anglais, parfois dits de façon simultanée. Des sonnets chantés, des sonnets parlés, d’autres chantés-parlés, en musique, a capella, avec micro, sans micro…Ce qui m’intéresse, c’est le moment où la parole devient chant, comment la musique entre, sort, et revient. Le travail autour de la poésie, du rythme et du sens est très délicat : l’idéal est de concilier les trois aspects.

 

MCEI : Comment avez-vous choisi les sonnets pour votre spectacle ?

S.L. : Les sonnets ont été choisis en fonction d'un fil conducteur : l'amour et les différents états que l'on traverse lorsqu’on est amoureux. Cette perspective m'intéressait beaucoup chez Shakespeare, et ce que j'ai voulu montrer, ce sont toutes ses différentes approches. Les poèmes retenus parlent de la mort, du temps qui passe, de l'amour comme d'un naufrage, de l'insomnie et de la solitude, mais aussi de la passion avec un côté naïf, fleur bleue, ou encore avec un humour qui démystifie. L'idée étant de faire ressortir tous ces états différents avec légèreté.

 

MCEI : On s’interroge sur les différentes facettes de l’amour, avec une continuité ?

S.L. : Hélas, ce n’est pas si simple ! Je ne pense pas que la relation amoureuse prenne la forme d’une belle courbe. Au contraire, elle est plutôt comme un électrocardiogramme, sans logique, et c’est ce que j’ai voulu montrer à travers l’agencement de ces sonnets.

 

MCEI : Et comment la musique s'imbrique t-elle dans ce projet ?

S.L. : Dans ce projet, la musique est un acteur à part entière, elle n'est pas là seulement pour illustrer, elle est tout autant moteur que les vers de Shakespeare.Elle interagit avec ces vers, et les relie aussi entre eux. La musique accentue cette idée d'électrocardiogramme, elle joue avec les tensions. Dans Shakespeare’s Sonnets, la guitare de Théo peut porter Mélanie, partir toute seule et la « lâcher », ou encore décider de se taire. L’idée, c’est qu’il y ait un dialogue, ou une absence de dialogue entre la parole et la musique, comme dans un discours amoureux.

 

MCEI : Mais cette musique, d'où vient-elle ? 

S.L. : J'ai demandé à Theo Hakola, qui est également compositeur, de faire la musique sur les sonnets comme il aurait composé les chansons de son album. Il s'est approprié les textes, a trouvé ses grilles, ses mélodies, posé ses rythmes. Il m'a dit qu'il trouvait que « Shakespeare, c'était comme Bob Dylan ! »

 

MCEI : Vous êtes depuis ce début d'année scolaire en résidence à Nanterre. En quoi cela consiste t-il ?

S.L. : J’anime un atelier de pratique théâtrale : Famille et territoire, les Labdacides d’Eschyle à Bauchau, ouvert à tous les étudiants. Je dois également produire deux créations avec la Compagnie, et les présenter pendant l'année. Ce sera Shakespeare’s sonnets en décembre, et Cannibalisme tenace en mai.

 

MCEI : Qu'est-ce qui est particulier pour un metteur en scène quand on se produit à la fac ?

S.L. : A titre personnel, je suis heureuse de retrouver la fac de Nanterre, car c'est un endroit que j'ai fréquenté pendant mes études, et que j'ai beaucoup apprécié. En tant que metteur en scène, je trouve qu'elle représente à la fois un formidable vivier humain et un lieu scénographique exceptionnel, un contexte artistique unique qu'on ne pourra jamais trouver dans un théâtre. Ce qui est intéressant pour moi, c'est avant tout la rencontre entre une équipe artistique (du comédien à l’éclairagiste), les étudiants, les professeurs, et le personnel de l’Université. Les échanges qui découlent de ces rencontres sont toujours passionnants et enrichissants, on se nourrit mutuellement. D’ailleurs, pour Shakespeare’s Sonnets, j’ai souhaité que des étudiants de Nanterre soient partie prenante du projet en tant que traducteur. Pour ce faire, j'ai contacté Anne Crémieux et Christine Berthin, professeurs à Nanterre, qui m'ont ouvert leur classe, et suite à cela des étudiants m'ont contactée. Depuis, Chris Robertson, Maxime Le Dain et Nathalie Barrie travaillent avec nous.



Propos recueillis par Vincent Dégremont et Dominique Dani.

 

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