Auteur dramatique russe contemporain, Oleg Bogaïev, à travers sa Poste populaire russe (1997), se fait à la fois l'héritier de toute une tradition littéraire - de Gogol à Tchekhov - et du théâtre de l'absurde.

Du Journal d'un fou à la Poste populaire russe.
Le Journal d'un fou de Nikolaï Gogol (1805-1852) est sans doute l'une des principales sources d'inspiration de la Poste Populaire russe. Dans cette nouvelle, Gogol dresse le portrait d'un modeste fonctionnaire en proie à un amour impossible. Pour échapper au vide de son existence, ce dernier se recrée une réalité et nous la livre dans son journal. A travers des lettres qu’il présente comme écrites par la chienne de sa bien-aimée, il lui réinvente une vie, loin de son quotidien, dans un monde où lui-même devient roi d'Espagne. Réalité? Fiction? Toutes les certitudes s'écroulent, laissant place à une folie inexorable. Se posent dans cette œuvre toutes les questions relatives à la folie, une thématique constante dans la Poste populaire russe d'Oleg Bogaïev.

De Vanka à Ivan.
Vanka, courte nouvelle d'Anton Tchekhov (1860-1904), relate l'histoire d'un petit orphelin de neuf ans qui décide d'écrire une lettre à son grand-père pour dénoncer les sévices que lui inflige son maître d'apprentissage. Cette lettre, qui sonne comme un cri de détresse, ne parviendra cependant jamais à son destinataire qui, sous la plume de l'enfant, aura pour seule adresse : "Grand-père, au village". Bogaïev, à travers le personnage d'Ivan, imagine la suite de cette histoire très connue en Russie : Ivan serait alors une sorte de Vanka vieillard, abandonné de tous et lésé par la vie.

Des invités imaginaires aux destinataires imaginés.
Si Bogaïev se définit lui-même comme un auteur du paradoxe et du grotesque, le lien de filiation entre son œuvre et le théâtre de l'absurde apparaît clairement dans la Poste populaire russe, notamment  si l’on considère Les Chaises d'Eugène Ionesco (1909 - 1994). Un couple de vieillards, isolé sur une île, se trouve rongé par la solitude. Mais l’époux possède le moyen de sortir de cette vie monotone : il détient un message universel et décide de le partager avec des personnalités éminentes venues du monde entier. Le couple organise une réception à laquelle se joignent un à un ces personnages imaginaires, véritables fantômes arrachés au néant. Le mécanisme de prolifération, cher à Ionesco et également présent chez Bogaïev, devient alors une réponse à l'angoisse face au vide de l'existence.

La Poste populaire russe d'Oleg Bogaïev est une œuvre indéniablement ancrée dans l'intertextualité, riche de questionnements sur  l'existence et son absurdité, sur la folie comme fatalité ou échappatoire. Cette pièce, tout comme les œuvres qui l'influencent, met en scène des personnages profondément seuls dont l'unique refuge est l'imaginaire. Bogaïev assume ainsi, dans une synthèse originale et souvent drôle, l’héritage de diverses traditions, littéraire et théâtrale, où l'aliénation de l'homme constitue une problématique centrale.

Dominique Dani
Ilhem El Aidaoui 

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