Boum-crac ! Voilà le Knout !

lun, 12/05/2011 - 10:30

Début novembre, c'est au Théâtre Bernard-Marie Koltès que nous rencontrons la troupe du Knout pour le premier filage des Camisarderies. Accompagnés au piano, les six comédiens aux visages peints en blanc mettent en place les ressorts "camiques" de leur cabaret loufoque. Entre concentration et bonne humeur, la troupe s'interroge encore et tente de dompter l'immensité du plateau. Quelques jours plus tard, nous rencontrons Nicolas Patout-Tcherkassov, le metteur en scène du Knout.

MCEI : Peux-tu nous raconter l'histoire du Knout, et nous dire comment s'est formée la troupe ?

Nicolas : Au commencement, on était des élèves du Conservatoire de Saint-Germain en Laye et des Mureaux. Nous avons été réunis par une élève qui préparait une épreuve de mise en scène. Elle avait fait un collage de textes autour de Beckett, Sartre et Sarah Kane. Quentin, Cyrille et moi jouions dedans : c'est comme ça que le groupe s'est constitué. Nous avons réalisé que nous aimions bien travailler ensemble. L'année suivante, c'est moi qui ai dû préparer l'épreuve de mise en scène. Nous avions accès gratuitement à une salle de répétition, et c'était là que nous avions suivi notre formation auprès de Monique Fabre... On ne voulait pas seulement créer un spectacle de vingt minutes pour le Conservatoire. En effet, la plupart d'entre nous avait le désir de devenir professionnel : alors, on a décidé de s'y mettre ! Notre premier projet, Titre provisoire, était un collage de textes de Michaux, Aragon, Kim Il-Sung... On l'a présenté au Festival international des arts de la scène, à l'Université d'Arras. C'est comme cela que le Knout est né.

MCEI : Pourquoi avoir choisi le mot "knout" ?

N. : Le "knout", c'est un fouet russe... Et "vivre sous le knout", c'est vivre sous un régime autoritaire. D'une certaine manière, notre première création était une profession de foi anarchiste. J'aime les spectacles "coup de poing". Il y a des metteurs en scène qui m'ont beaucoup marqué, Thomas Ostermeier et Pippo Delbono surtout. J'aime leur façon de faire, la manière qu'ils ont de créer leurs spectacles.

MCEI : En quoi Titre Provisoire était-il un spectacle "coup de poing" ?

N. : Notre première création était encore un exercice de mise en scène. J'ai essayé divers procédés, je voulais élaborer un spectacle "terroriste". Je voulais qu'il y ait des effets physiques sur le public... Que ce soit comme une bombe ! Par exemple, j'ai utilisé un stroboscope aux lumières vives et crues, tandis qu'un hautbois jouait une musique très douce et que, sur scène, un frère violait sa sœur sur un poème de Michaux. Au Festival d'Arras, le public était essentiellement lycéen, et se divisait entre "J'ai adoré !" et "J'ai détesté!". C'était un spectacle très sombre...

MCEI : Comment est née l'envie d'un nouveau projet ?

N. : Toute l'équipe voulait embrayer sur un deuxième projet, mais tout le monde me disait : " S'il te plaît, Nicolas, pas un spectacle aussi sombre que Titre Provisoire ! Il faut faire rire les gens ! " Certains voulaient jouer du Feydeau... C'est très intéressant à travailler au niveau du rythme, mais c'est trop connu. Je préfère l'underground : du coup, j'ai décidé de monter Cami. Une de mes ambitions, c'est de ramener du monde au théâtre, notamment les lycéens. Je suis pion, et je sais qu'ils sont très intéressés par la culture, mais ils vont dans les théâtres "reconnus", pas vers le théâtre étudiant. Et puis j'ai lu Ostermeier. Dans Le Théâtre à l'ère de son accélération, il explique que la manière de raconter les histoires a changé. Avec le cinéma, et surtout la télévision, le public a l'habitude que les histoires soient racontées rapidement. A partir de ce constat, j'ai réfléchi... Des saynètes ! Une succession de saynètes, c'est bien ! En plus, nous étions en train de travailler à un cabaret avec Monique Fabre, notre professeur au Conservatoire. Cet esprit, les années 1920, ça me plaît : je ne sais pas si c'était le "bon temps", c'était aussi une époque très violente. J'ai eu envie de monter un cabaret parce que c'est beau et distrayant, ça parle aux gens... et d'ailleurs, j'avais une contorsionniste sous la main.

MCEI : L'absurde, tel qu'il apparaît sous la plume de Cami, donne l'impression que chaque saynète est comme une bombe : l'esprit des Camisarderies semble resté assez proche de celui de votre premier spectacle.

N. : Je veux bien faire rire, je trouve que c'est important... Mais il ne faut pas que ce soit seulement de la distraction. Je garde mon côté militant, je veux un rire cruel. L'idée de base, c'était de mettre un miroir en face du public, que ce soit une énigme. Il n'y a pas de dimension psychologique chez Cami, les personnages sont creux. Pour les Camisarderies, j'ai pensé à Baudelaire et aux Petits Poëmes en prose, pour le côté serpentin que l'on peut démonter, découper, remonter. A Nanterre, nous présenterons la "version grand luxe" du spectacle, mais nous voulons pouvoir le présenter et l'adapter pour différents formats de salle.

MCEI : Que raconte le montage de saynètes que tu proposes ?

N. : Le cabaret remonte à travers la variété des saynètes, un fil chronologique : partir de la Renaissance pour arriver à la bourgeoisie triomphante. Certains thèmes sont récurrents : le pouvoir de l'individu sur l'individu, ou la fascination pour l'atavisme... Le terrible chez Cami, c'est que son écriture suit une logique absurde, mais qui ne part jamais en vrille : l'écriture est vraiment logique ! A mon sens, Cami se moque de la logique froide du bourgeois de son époque.

MCEI : Nous avons eu l'impression, lors de votre premier filage, que vous vouliez éviter de susciter un rire facile. Pourtant la cocasserie des situations et les calembours imaginés par Cami semblent s'y prêter à merveille.

N. : Peut-être, mais ce ne serait pas rendre honneur à l'auteur... Et je n'aime pas la facilité. Je ne sais pas si le public rira, à la limite ce n'est pas mon affaire ! Ça peut ne pas plaire... Quand tu cherches trop le rire, les effets sont trop appuyés. Si tu soulignes les jeux de mots, alors on plonge dans la vulgarité. Au théâtre, et dans l'art en général, il ne faut pas chercher le rire pour le rire. Pour moi, Cami est un précurseur.

MCEI : Pourquoi vous êtes-vous présentés à Nanterre-sur-scène ?

N. : Il faut faire vivre le campus de Nanterre. C'est encore le début, mais ce festival pourrait devenir un rendez-vous d'envergure. Et c'est à nous, les étudiants, de le lancer !

 

Camisarderiesjeudi 8 décembre, à 19h30 au Théâtre Bernard-Marie Koltès , dans le cadre du Festival Nanterre-sur-scène

De Pierre Henri Cami / Mise en scène : Nicolas Patout-Tcherkassov, assisté de Mathilde Louarn
avec Macha Polivka, Quentin Lejeune, Mary Fournier, Cyrille Arfeuille, Eiden Derouette, Lucien Henry-Urso, Héléna Moon, Guillaume Retail ; maquillage : Aurélie Pierre

Propos recueillis par Louise Champiré et Kaci Kemel