Même la pluie est un titre étrange, intrigant. Et même frustrant. Il ne nous renseigne pas mais nous attire. Il nous questionne. La pluie. L’eau. La vie. L’eau qu'on nous enlève. Bientôt l’air peut-être. Que restera-t-il ? Un film qu’une équipe espagnole vient tourner dans les décors majestueux de Bolivie ?
 
Ce film, c’est celui de Sebastian, jeune réalisateur espagnol et passionné, et de Costa, son producteur. Leur désir, c’est de relater l’histoire de Las Casas et de Montesinos, ces prêtres qui, les premiers, ont défendu la cause des autochtones, asservis et massacrés par les conquistadors. La plupart des acteurs sont boliviens, rémunérés deux dollars par jour. Combien sont payés les quelques acteurs espagnols ? La question nous effraie. A ce stade, on pourrait croire à un film sur le cinéma. Et s’arrêter là.

Or la force du film est ailleurs. Elle tient en la confrontation de deux époques et de deux univers. Elle est historique et politique.
Même la pluie se situe à Cochabamba, en l’an 2000, parce qu’y ont eu lieu de violentes révoltes déclenchées par la privatisation du service public de l’eau. Deux époques se superposent ainsi : le peuple, hier soumis aux colons, est aujourd’hui un peuple soumis au capitalisme. La figure de proue de cette insurrection est incarnée par un habitant des bidonvilles, Daniel − magnifiquement interprété par Carlos Aduviri. C’est lui qui a obtenu le premier rôle indigène du film. Dès lors, la poursuite cinématographique est mise en péril. Et Costa et Sebastian se retrouvent malgré eux impliqués dans cette lutte violente et vitale. Un choix s’impose à eux : poursuivre coûte que coûte le film, sur lequel ils ont tout misé, ou soutenir une population démunie. Deux univers se confrontent, et l’on se demande à quoi rime leur cinéma quand la vie de l’homme est en jeu, surtout lorsque Costa s’adresse à Daniel pour qu’il cesse ses activités politiques « Tu te rends compte des efforts que demande un film pareil… Tout le fric dépensé… », et que ce dernier lui rétorque « L’eau c’est la vie, tu comprends pas ».

Les personnages de Sebastian et de Costa, finement interprétés par Gael Garcia Bernal et Luis Tosar, sont ambigus et complexes, partagés entre deux mondes, mais sans doute un peu caricaturaux dans leur évolution, quand le cinéaste idéaliste devient de plus en plus égoïste et le producteur cynique de plus en plus humain.

Un film dans un film. Une mise en abyme. Un drame historique. Un drame social. Un sujet complexe. L’aventure était d’emblée périlleuse, pleine de dangers que la réalisatrice Icíar Bollaín et le scénariste de Ken Loach, Paul Laverty, surmontent de façon très honorable, avec à la clé une sélection aux Oscars.
 
Dominique Dani
 
Même la pluie, d'Iciar Bollain, avec Gael Garcia Bernal, Luis Tosar, Carlos Aduviri. Durée: 1h43. Date de sortie cinéma: 5 janvier 2011.