Deux créations du compositeur David Christoffel au festival off de Nanterre sur scène : la Chorale des parleurs et le Testing acoustique de la piscine, avec la complicité d'Éléna Andreyev.
La Chorale des parleurs : six chanteuses, trois pupitres, une baguette de direction. En toute simplicité, le poète et compositeur D. Christoffel renoue avec le parlando, dans cette création polyphonique en treize parties. Les paroles ont été inventées par six étudiantes en arts plastiques. Souhaitant diversifier leur projet, ces élèves de l'Atelier des adolescents de l'École municipale artistique de Vitry-sur-Seine ont participé à la Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne. Des lieux sont esquissés : le caractère sauvage de La Forêt, le rythme haletant de  La Bourse, les sphères de la culture et de l'intime dans Le Théâtre et La Tragédie familiale. Divers types de discours sont illustrés dans Et ba moi, La Prière,  Le Dialogue et Le Discours. Les voix incarnent des objets rythmiques et sonores dans Les Métronomes et La Télé ; elles imitent l'intrument dans L'Orchestre.
La septième pièce, à trois blocs de voix, a été intitulée Les résolutions négatives en souvenir d'une chanson. Le rythme, les accents, les intonations et les nuances donnent à la fois forme et énergie à cette œuvre en un mouvement réunissant quinze périodes. Prêtez l'oreille ! Vous entendrez trois discours au caractère bien défini : décidé, avisé et évaporé. Le texte est au futur, parfois absurde ("semestre à 10%", "je ne mangerai pas de pinceau") et souvent amusant ("je ne serai pas un éléphant", "plus d'asticot dans le fromage"). Les phrases sont agrémentées de répétitions, d'onomatopées et d'exclamations diverses. Les interdits appartiennent à la morale ("je ne volerai pas" ; "je ne tuerai pas"), à l'amour ("je ne cesserai pas de l'aimer") et aux enfantillages ("plus de mauvaises notes"). Les êtres évoqués appartiennent au réel ou à l'imaginaire: des animaux, l'être aimé, Angelina Jolie, Wonder Woman... Nos parleurs commencent en homorythmie, les trois voix étant identiques et prononcées en même temps. Dès la seconde période, les voix sont en contrepoint. Les discours sont en entrées successives (en fugato), suivent un mouvement rétrograde ou s'alternent (en hoquet). Dans les périodes 13 et 14, les décidés et avisés unissent leurs voix sans que les évaporés en tiennent compte. Ces derniers ont le mot de la fin: "Et je ne respirerai plus."
Avec un sourire, David Christoffel donne ses sources d'inspiration pour la douzième pièce, Poème simultané par Richard Huelsenbeck, Marcel Janko et Tristan Tzara : "je me suis inspiré des happenings de John Cage, ainsi que du poème simultané de Tzara, Huelsenbeck et Janco, intitulé L'Amiral cherche une maison à louer." En effet, la spontanéité dadaïste s'accorde si bien avec les formes momentanées contemporaines !
Le Testing acoustique sera créé par la rencontre de D. Christoffel, en flûtiste, avec la violoncelliste Éléna Andreyev, à la recherche de nouvelles expériences sonores. Cette dernière allie la plume et l'archet. Premier prix du Conservatoire de Paris, elle est spécialiste du baroque, mais son répertoire est étendu au classique, au romantique et au contemporain.  Ses rencontres avec Georges Aperghis, Gérard Pesson et Luciano Berio, ainsi que ses voyages internationaux, ont enrichi sa formation. É. Andreyev fait de la musique d'ensemble, en particulier avec les Arts florissants et le Trio AnPaPier. Un seul lieu, la piscine de l'Université Paris Ouest ; une seule règle, l'indétermination. L'œuvre se crée dans l'ici et le maintenant.  La forme sera donc nouvelle et unique. D. Christoffel a choisi une flûte à bec alto en bois de palissandre au son doux et vif. Sa tessiture aiguë contraste avec celle du grave violoncelle. Réunis par leur matière boisée dans un espace réverbérant, les timbres de ces instruments vont-ils s'unir harmonieusement ou être discordants ? Les variables de jeu à la flûte sont la mobilité et le souffle. D. Christoffel produit des sons continus, saccadés, ronds, vibrés ou détimbrés; il joue sur l'intensité et les hauteurs. É. Andreyev testera différents modes de jeu: "Je vais frotter les cordes avec l'archet derrière le chevalet, faire des pizzicati, des trilles, des accords arpégés et agrégés. J'utiliserai le dos et la table de l'instrument, et... j'apporterai aussi divers accessoires", nous confie-t-elle mystérieusement. L'acoustique de ce lieu particulier changera les interactions entre instrumentistes. De plus, le grain du son et la dynamique articulatoire de ces instruments familiers vont nous sembler étranges, car l'espace de la piscine rend les trajectoires du son plus complexes et fait apparaître des nappes de résonance. D. Christoffel nous fait ainsi partager deux expériences sonores inoubliables. Avec une ironie socratique, il remet en question les préjugés sur l'œ
uvre d'art et nous fait entrer sur le terrain de la révolution musicale contemporaine.


Aurélie Vasseur

La Chorale des parleurs, les Résolutions négatives, 1er déc. , Université Paris Ouest, Nanterre,  hall du bâtiment G, 17h30-18h00, entrée libre.
Le Testing acoustique, 7 déc. , Université Paris Ouest, Nanterre, piscine du SUAPS, 16h30-17h10. 

Pour en savoir plus :
David Christoffel est compositeur, poète, théoricien de la philosophie et des sciences du langage. Il est également chroniqueur et photographe. Il est né en 1976, à Tours. Musicien, il a étudié la flûte et la clarinette. Vous pouvez lire sa prose poétique, dans Littéralicismes (Bordeaux, l'Attente, 2010). Les enregistrements de ses poèmes Œcumétrucs (Paris, Arts et Lectures, 2008) ou les Opéras parlés (CD, Incidence, 2008) témoignent de sa réflexion sur les rapports entre musique et parole.