Fondée en 2007 au lycée Montesquieu à Herblay, la troupe des EduLchorés présente sur la scène de Nanterre sa pièce Vie de Grenier, un spectacle onirique et poignant. Nous avons rencontré  la metteur en scène, Emma Pasquer, pour découvrir l’histoire qui se cache derrière la pièce. Confidences autour d'un café...

MCEI : Pour commencer, pourriez-vous nous présenter votre parcours ?
 
E.P. : Tout a commencé alors que j’étais en terminale. Je faisais du théâtre et beaucoup de danse : j'hésitais encore à en faire mon métier. J'avais envie de monter un spectacle, donc j’ai rassemblé des amis autour de moi : c’est ainsi que sont nés les EduLchorés. Nous avons répété toute l'année pour finalement présenter un spectacle de cinquante minutes qui s'appelait A Nos Faiblesses. L'année suivante je suis rentrée en classe préparatoire littéraire, et nous avons peaufiné le spectacle, avec une équipe qui a commencé à changer. En parallèle, nous avons créé l’association Et bien dansons maintenant, dans le but de promouvoir la culture et le spectacle vivant par le biais de la création de spectacles et de l'organisation de stages et de rencontres artistiques. Mes trois ans de classes préparatoires littéraires, enrichissants mais aussi frustrants en termes de création, m'ont permis de savoir que j'avais vraiment envie de monter des projets. L'année dernière, j'ai intégré la fac en Master de recherche à Nanterre, et en parallèle je suis entrée à l'École du Jeu, dont je suis actuellement le Cycle Long.
 
 MCEI : Comment est né Vie de Grenier ?
 
E.P. : Nous faisons partie d’une génération qui avance sans trop se poser de questions, qui vit au présent, sans regarder derrière elle, sans savoir d’où elle vient ou qui elle est. Dans Vie de Grenier, j’ai eu envie d’évoquer les failles que cela crée dans notre mémoire et dans notre identité. Il me tenait également à cœur de parler de la maladie d'Alzheimer, qui se répand aujourd’hui et qui nous touche tous, de près ou de loin. Cette maladie est une vraie menace autour de nous, qui peut devenir métaphorique : est-ce que nous n’avons-pas, par peur d’oublier, tendance paradoxalement à le faire ? Contrairement à ceux qui préfèrent éviter de mentionner toutes ces choses fugaces, moi je voulais en parler. Je souhaitais donner vie à toutes ces choses qui sont finies. Je voulais faire du théâtre avec rien, seulement des comédiens, et raconter des histoires. Le passé, c’est là où on peut tout inventer, sans reconstituer le souvenir fidèlement, comme en parle Perec dans W ou le souvenir d’enfance. La mémoire est le lieu du fantasme, et donc également du théâtre.
 
MCEI : Pensez- vous que la force de Vie de Grenier repose sur le travail collectif de création ? Quelles difficultés ont été posées par cette création collective ?
 
E. P. : Concilier les propositions de tout le monde ! Et les emplois du temps. Mais ce ne sont là que les aléas de tout travail collectif. Les personnalités et les sensibilités différentes sont avant tout une grande richesse. Si c’est moi qui ai réuni tous les comédiens au départ, une véritable alchimie s’est créée dans le groupe après quelques temps. Je n’avais aucune envie de les diriger à la baguette, au contraire, j’ai été plus touchée de les voir s’entraîner tous ensemble sans que je sois indispensable. Devant les multiples propositions que nous avions, il a fallu de l’humilité pour couper des passages, et mettre en scène les multiples bribes que nous avions créées. J’ai quand même fait en sorte que chacun ait son parcours dans le spectacle, quelque chose d’important à traverser, son bijou. La création de la musique s’est faite sur le même mode : le compositeur (Lionel Bourau-Glisia) a composé son équipe, il a assisté aux répétitions, proposé des thèmes, et finalement a écrit la musique de tout le spectacle, de A à Z.
 
MCEI : N’avez-vous pas eu l’impression d’abandonner votre carrière personnelle de danseuse en prenant les rênes de Vie de Grenier ?
 
E. P. : Il est vrai que j’ai dû faire un choix dès qu’on a commencé le projet de Vie de Grenier. Il est rapidement devenu évident qu’une création collective sans metteur en scène était ingérable. Évidemment cela m’a un peu frustrée, et surtout donné très envie de remonter sur scène et de travailler sur moi-même. Je crois énormément au processus frustration/envie. Mais d’un autre côté, je n’ai pas l’impression de mettre de côté ma carrière où mes envies personnelles parce que c’est ça que j’ai envie de faire : la création, la mise en scène et la chorégraphie. Tout ce que je fais est enrichissant d’une manière ou d’une autre. En effet, je fais en sorte de relier toutes les choses que je fais. A l’université, je travaille sur un sujet qui me touche personnellement et Vie de Grenier me permet de mettre cela en pratique, de même que l’Ecole du Jeu, où l’on se questionne sur comment raconter avec le corps et comment donner du poids à la parole. Tout s’imbrique et se répond, et je peux ainsi faire mentir tous ceux qui nous disent : « T’arriveras jamais à tout faire ! ».
 
MCEI : Comment le festival Nanterre sur Scène s’inscrit-il dans la vie de la pièce ?
 
E. P. : Il s’y est inscrit assez naturellement. L’an dernier nous n’étions pas prêts, mais cette année nous sommes au sommet de notre forme ! Pour moi il est important de participer à la vie de l’université, surtout à Nanterre où il y a des infrastructures culturelles de premier choix. Vie de Grenier est un spectacle ouvert à un large public, familial mais aussi jeune. Il touche à tous les âges et s’adresse à un public qui n’est pas nécessairement initié. Participer au festival, c’est montrer aux étudiants qu’il est possible d’entreprendre et qu’il ne faut pas se décourager devant les premiers obstacles.
 
MCEI : Quels sont vos projets ?
 
E. P. : Je souhaite poursuivre mes études dans la recherche théâtrale, probablement sous la forme d’une thèse, tout en travaillant en parallèle. J’aimerais tout d’abord continuer sur le projet Vie de Grenier, qui selon moi a encore du chemin à faire. J’espère pouvoir monter un spectacle destiné au jeune public, peut-être à partir de la pièce de Marion Aubert, Les Orphelines. Je pense également travailler sur de petits duos dansés, et ensuite un nouveau gros projet qui pourrait être présenté courant 2013 !
 
MCEI : Pour clore cet entretien, que peut-on vous souhaiter ?
 
E. P. : Une longue vie au spectacle Vie de Grenier qui n’a pas encore dit tout ce qu’il avait à dire ! Et de la folie, encore et toujours ! (et que je puisse vivre de mon travail le plus rapidement possible).
 
 

 

Vie de Grenier, vendredi 9 décembre à 18h, espace Reverdy. Nanterre Université.

 

 
 
 
Propos recueillis par Lucile Margot et Catherine Peterson.
(photographie de Philippe Lhomel)