Quelques jours avant l'ouverture du Festival Nanterre sur Scène, la compagnie Ascorbic répète Une Recrue à Montreuil. Nous y avons rencontré Noémie Fargier, auteur et metteur en scène du spectacle, qui a accepté de répondre à nos questions et de revenir sur la genèse du projet.

MCEI : Comment ce projet est-il né ?

Noémie Fargier : J’ai commencé à écrire Une Recrue en septembre 2009. Je suis rentrée fin juin des États-Unis et j’ai repris ma vie parisienne. Je cherchais un petit boulot, je donnais beaucoup de cours à domicile et je passais des entretiens. Je cherchais quelque chose pour être indépendante, j’ai postulé pour être hôtesse d’accueil, et puis j’ai passé deux entretiens dans la même journée. De cette comparaison entre les deux entretiens est née une prise de conscience de la naïveté de mon attitude lors du premier : la première personne avait été très sympathique et je m’étais livrée. J’ai compris grâce au deuxième entretien que c’était une technique pour que les candidats se révèlent sous leur vrai jour. Ainsi, ces questions du travail m’ont taraudée et j’ai ressenti le désir d’écrire cette pièce.

MCEI : Peut-on alors vous reconnaître dans le personnage de Jana ?

N. F. : Je ne suis pas allée si loin ! D’ailleurs je n’ai pas eu le poste. Je me suis documentée à partir de films, d’émissions de radio, de lectures et j’ai écrit la pièce… C’est la première fois que j’acceptais d’écrire un texte avec un personnage central féminin qui avait mon âge et qui pouvait me ressembler, mais ça n’est pas moi du tout ! Cette pièce n’est pas autobiographique. Je voulais donner la parole à une jeune femme de vingt-quatre ans et assumer ainsi ce point de vue féminin… et aussi le point de vue de la jeunesse.

MCEI : On a la représentation d’une jeune génération angoissée par le travail. La pièce est finalement assez pessimiste, n’est-ce-pas ?

N. F. : Oui, c’est un peu pessimiste…

MCEI : Le personnage d’Arthur – il est enfermé dans une révolte stéréotypée – ne représente pas non plus une porte de sortie pour Jana ; quant à elle, elle fait preuve d’une certaine inertie...

N. F. : J’ai pas mal retravaillé ce personnage parce qu’il posait un vrai problème… Arthur, le petit copain de Jana, est un jeune étudiant engagé dans un mouvement revendicatif enthousiaste. En même temps, il reste embourbé dans le mouvement de la grève, de même que le personnage de Jana se laisse complètement absorber par l’entreprise. J’ai essayé d’être optimiste, mais ça s’apparente en fait davantage à la projection de mes angoisses pour faire réagir, car on se demande comment c’est possible de se laisser complètement absorber par l’entreprise, d’entrer ainsi dans cet engrenage… Au début, c’est un « à côté », et puis cet « à côté « prend tellement de place et brise tellement d’énergie qu’il est difficile de faire autre chose.

MCEI : Quelle idée générale souhaitez-vous transmettre dans cette pièce ?

N. F. : Je n’ai pas vraiment de message. Je travaille davantage sur la sensibilité et sur la perception du personnage : comment cette condition de travail influe-t-elle sur la perception du monde qui nous entoure, comment la perspective peut-elle se resserrer à cause de cet épuisement, de ce stress vécu. Je voulais montrer au spectateur la perception propre à ce personnage : elle a besoin de faire des petits boulots, puis le travail transitoire s’installe, avec la peur, et on reste là… Je voulais parler de cette période de transition entre l’âge étudiant, insouciant, le moment où l’on commence à travailler, à faire des stages, et l’âge adulte qui ne veut pas toujours dire qu’on peut faire vraiment ce qu’on aime. La plupart des gens travaillent simplement pour manger. En tant que jeune metteur en scène, j’ai ce désir de faire ce que j’aime, je veux y arriver absolument, mais je sais aussi que c’est un privilège, que ça n’est pas le cas de la majorité des gens… Ce personnage, c’est une projection mentale mais ça ne doit pas être lu d’un point de vue psychanalytique. 

MCEI : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la compagnie ?

N. F. : Je l’ai créée il y a un an car j’avais envie de monter mes projets personnels. Je fais aussi partie d’une autre compagnie, où l’on fait des créations collectives, elle s’appelle la No panic compagnie. Une grande partie des personnes qui travaillent dans la nouvelle compagnie font également partie de l’autre. Ce n’est pas une création collective, mais une création personnelle à laquelle tout le monde contribue. On travaille avec un musicien, une créatrice lumière, une graphiste. C’est un travail d’équipe, mais pas une création collective…

MCEI : Une Recrue a-t-elle déjà été jouée auparavant?

N. F. : Non, j’ai présenté une maquette en juillet avec quelques extraits de la pièce. On va la rejouer à l’automne prochain. C’est la première fois que je la joue à Nanterre.
 
Une Recrue, mardi 6 décembre à 19h30 au Théâtre Bernard-Marie Koltès, dans le cadre du Festival Nanterre sur Scène.

Propos recueillis par Alexey Puzyrev et Johanne Peyras