Les Clara 69 nous répondent

mar, 12/06/2011 - 01:42

Un bon programmateur vous le dira, le titre d'une œuvre est capital pour accrocher le public. En adaptant la pièce imaginée par Gildas Milin, délicatement intitulée Clara 69, la compagnie S. en S. fait très fort cette année, mêlant le mystère du nom de code et l'érotisme du chiffre 69. Déconcertées et intriguées nous cherchâmes à en savoir plus sur cette création percutante.

Marie et Hélène : Pouvez-vous vous présenter et nous présenter la compagnie ?

Maroussa Leclerc : Je m'appelle Maroussa Leclerc, je viens de terminer ma formation de comédienne et pour le projet Clara 69 je suis le metteur en scène. Clara 69 est hébergé par la compagnie S en S, c'est la compagnie d'Éléonore Hendriks qui est aussi comédienne dans Clara 69 et Dajistan Kiss. Ce sont deux très bons amis et comédiens que j'ai rencontré lors d'une formation théâtrale d'un an en Biélorussie.          

Estelle Graczyk : Je suis née à Pontoise en 88, mon nom c’est Estelle Graczyk.

M & H : Qui est Clara 69 et pourquoi ce titre ?

M.L : Clara 69, c'est une jeune femme de 27 ans incarcérée au mitard de Fleury Mérogis. On ne connait pas les circonstances de son enfermement. Je pense que le titre vient du fait qu'en prison, on peut vite devenir un numéro, bien que Clara lutte contre ça, et le chiffre 69 en particulier vient peut-être du fait qu'elle est particulièrement libre dans la vie et que ce chiffre évoque aussi la liberté sexuelle.          

E.G
: Clara 69 est une femme libre qu’on a enfermée, mais c’est aussi un corps qui enferme une infinité de vies. C’est un infiniment grand dans un infiniment petit. Ce titre, Clara 69, c’est un nom de femme et un matricule, qui, ensemble, font naître un fantasme.

Aloysia Delahaut : Clara 69 est une femme qui a la chance de pouvoir utiliser le réel pour en faire de l’imaginaire… ou l’inverse. 69 est le numéro de prison peut-être mais c’est surtout le chiffre du manque, et une identité qu’elle s’invente pour pallier à la déshumanisation de cette prison.

M & H : Qu'est ce qui vous a intéressé dans la pièce originale écrite dans Le Triomphe de l'échec de Gildas Millin ? Comment s'est passé le travail d'adaptation et éventuellement de réécriture ?

M.L : Ce qui m'a particulièrement intéressée, c'est le personnage de Clara, son envie de vivre, son humour, et son actualité. J'ai pris beaucoup de temps à réorganiser ce texte car si cela m'est vite apparu nécessaire de le distribuer pour ne pas le rendre anecdotique et loin de nous, je voulais trouver les phrases qui correspondaient à chaque Clara que nous construisions avec les comédiennes. J'avais l'idée fixe de cinq comédiennes sur scène mais elles m'ont aidée par leurs propositions scéniques lors du pré travail à organiser la dramaturgie.

E.G : A la lecture de la pièce, je me suis sentie comme dans un film de Tarantino : il y a chez Clara un mélange de fragilité, de violence extrême et de folie.  La musicalité du texte a une vraie valeur dramatique : c’est à la fois cru et poétique, la douleur qu’on y ressent est jouissive.

M & H : Comment vous est venu le désir de monter cette pièce?

M.L : J'avais très envie de chercher  ce qui fait qu'une femme est une femme et j'ai trouvé que ce texte et ce personnage étaient un très joli laboratoire.

M & H : Dans la pièce originale Clara est un homme. Pourquoi ce changement ? Qu'avez-vous voulu montrer de la femme dans cette pièce ?

M.L : J'ai eu envie de montrer la capacité de création de la femme, d'ailleurs dans la pièce originale Clara n'est pas un homme mais un comédien qui joue une femme.

A.D : Ce n’est pas le cliché de la femme aux multiples facettes mais plutôt la manière dont Clara fait intervenir ces femmes qui font partie d’elle, à un moment de sa vie où elle se retrouve seule face à elle-même (en prison). Chacune de ces femmes représente un tout, pas simplement une facette, et c’est ce qui fait leur force et leur donne de la consistance au-delà de l’imagination de Clara, jusqu’à en devenir autonome et se détacher de Clara par moments.

E.G : On montre une femme qui défie le monde. Malgré l’incarcération, malgré le froid, la douleur, le bruit chaotique de la prison, elle parvient à voyager, à rire, à aimer, et elle suit sa propre musique. Sa fierté et son imaginaire sont sa survie.      

M & H : Maroussa, en quoi votre travail en tant qu'éducatrice spécialisée a pu vous aider pour mettre en scène la pièce ? Quelle approche y a t il de la prison dans cette pièce?

M.L : La base du métier d'éducateur spécialisé, m'ont toujours dit mes formateurs et ensuite mes collègues, est l'observation. Je pense qu'en ça, cela m'a beaucoup aidé pour cette mise en scène, car il a fallu bien observer chacune des propositions des comédiennes pour en retirer l'essence, pour retirer leur marginalité, leur folie, et non l'idée de la marge, l'idée de la folie. Je ne voulais surtout pas faire un cliché de prisonnière car comme je ne connais pas l'univers carcéral hormis à travers des films, je voulais chercher ce que ça signifie pour nous l'enfermement.

Pauline Fontaine : Dans notre mise en scène, la prison n'est pas présente de manière réaliste, c'est un espace suggéré  dont nous nous servons davantage comme d'un contexte : celui de l'enfermement et celui surtout de l'évasion. Ce lieu devient paradoxalement un espace de liberté pour l'imaginaire de Clara. Nous n'avons donc pas cherché à rendre concrète l'atmosphère de la prison : les murs sont imaginaires et Clara a même le pouvoir de les briser, il n'y a pas de bande-son nous donnant à entendre le quotidien d'une prison ni de costumes carcéraux, seuls deux éléments significatifs (un lit et un lavabo) et une délimitation d'espace au sol.

M & H : Pourquoi avoir choisi de représenter Clara à travers cinq comédiennes?

M.L : Je ne voulais pas que ce soit anecdotique, je trouve que ce personnage, ça peut-être n'importe quelle femme. Ses réflexions, ses peurs sont celles de toutes les jeunes femmes de notre société actuellement. Et 5 c'est un très beau chiffre esthétiquement sur un plateau.

P.F: La voix de cette femme est intéressante parce qu'elle nous parle au-delà de l'anecdotique, Clara représente la femme en général, les facettes de sa personnalité sont multiples,  nous retrouvons en elle des petits bouts de chacune d'entre nous, c'est cette parole universelle qui offre la possibilité d'une lecture à plusieurs voix. Aussi parce que la force de son imaginaire est tellement puissante qu'elle peut tout envisager, même être cinq en une.

A.D: La création de personnages qui n’existent pas dans la pièce est venue progressivement dans la tête de Maroussa… puis sur le plateau, mais c’est le fruit d’un travail de groupe, dans lequel chacune des femmes est à la fois autonome mais ne peut pas se passer des autres femmes pour se définir ; c’est comme un aller-retour permanent entre la solitude de chacune et leur vie en groupe. Elles dépendent les unes des autres quand même…

M & H : Comment ont travaillé les cinq comédiennes ?

A.D : Le travail par improvisation est très riche et nous permet de nous sentir très libres même en représentation…

M & H : Quelles ont été les difficultés rencontrées pour la mise en place de la pièce ?

P.F : Les difficultés sont rarement liées au travail sur le plateau et si elles arrivent elles sont au contraire assez précieuses, ce sont elles qui nous permettent d'aller au-delà et de chercher à trouver un chemin pour les résoudre. Ce qui est plus problématique pour nous ce sont les choses pratiques, en lien avec notre professionnalisation. Il y a à la fois la découverte d'un milieu, l'envie de prendre les choses à bras le corps et une réalité assez complexe. Avec les questions récurrentes: comment réussir au mieux à défendre notre travail, à trouver l'endroit pour ça et à lui donner une place dans le paysage théâtral actuel...

M & H : Vous avez déjà participé au festival de Nanterre sur scène l'année dernière. Comment a été cette expérience ?

M.L : Ça a été une très bonne expérience ; nous avons joué à l'espace Reverdy qui est un très bel espace, j'étais comédienne sur Soma. Je trouve ça toujours incroyable d'avoir la possibilité de montrer nos idées en tant que jeunes comédiens, metteur en scène.

 

Entretien réalisé par Hélène Courau et Marie Devier.