Les Etonnistes #3

ven, 12/11/2015 - 01:00

Les Etonnistes, venus des arts du cirque, de la danse et des arts visuels, savent de quoi ils parlent et portent bien leur nom. L’étonnement, c’est ce qui saisit le public du CENTQUATRE après avoir zigzagué dans les méandres de l’établissement pour trouver l’atelier où attend patiemment la troupe de Stéphanie Aubin.

A l’entrée, on nous distribue des casques sans fil dont on ne sait pas trop quoi faire. On joue avec, on fait glisser la roulette du volume, on les retourne, pour finalement les installer timidement sur nos oreilles. Sur scène, quatre comédiens, deux femmes et deux hommes, errent dans l’expectative, mais toujours souriants. Ils patientent, ils nous font la conversation : oui, c’est bel et bien leurs voix que l’on entend dans nos casques. A partir de là, l’expérience immersive commence.

Ils nous susurrent des mots, nous charment de leurs voix calmes et apaisantes, comme pour établir un lien de confiance. Mais très vite, au sein du public, une rumeur circule … Apparemment, nous n’entendons pas tous les mêmes choses. En effet, chacun des casques n’est relié qu’à un seul et unique comédien. La sélection de l’interlocuteur, côté spectateurs ou côté acteurs, est un pur fruit du hasard. Une relation privilégiée se met alors en place. Chacun des comédiens reconnaît ses sujets en leur demandant de faire un geste distinctif (se toucher les cheveux, croiser les bras, se gratter le nez). Dès lors, c’est une véritable communauté qui se crée, ou plutôt quatre factions respectivement dirigées dans l’espace et dans l’esprit par la personne avec laquelle elles sont liées.

Et que nous disent ils ? N’ayant pas développé le don d’ubiquité, chacun à la sortie du spectacle, raconte à quel morceau de cette quadruple narration il a eu droit. Le point commun de ces récits, c’est qu’ils nous font part d’une expérience artistique marquante. L’histoire d’une lecture de journal intime dans une église après la mort d’une mère un peu provocatrice, ou celle d’une ballade pieds nus dans la forêt et d’un recueillement dans une cabane. Les objets de la mise en scène servent aux quatre conteurs qui se les passent et interagissent physiquement en même temps qu’ils nous parlent : la table figure tantôt la tombe, tantôt un arbre, et quand l’une grimpe dessus, l’autre la retourne et y note des inscriptions à la craie. Mais comment faire part de l’indicible ? Comment partager des sentiments si intimes ? Comment définir l’art, qui est ici entendu au sens large ?

Certaines fois, on ne les suit plus. On a le sentiment d’assister aux dérélictions de trentenaires nostalgiques, et l’on coupe ce lien direct entre la bouche du comédien et l’oreille du spectateur. Ce processus inclusif, ce petit cocon accueillant, va aussi de pair avec un processus d’exclusion. Il y a un aspect très frustrant dans le fait de voir quatre comédiens en interaction avec différentes parties du public, et de savoir que l’on n’aura pas le droit de tout entendre. Soit, c’est le prix à payer pour vivre une expérience en temps réel. Cela dit, même si les spectateurs sont amenés à venir sur scène par petits groupes, l’osmose ne fonctionne pas réellement. Les agglomérats de spectateurs viennent à la demande des acteurs, et s’asseyent par terre. Ils font la même chose, ils écoutent attentivement, ils n’ont fait que changer de place. Est-ce que cela suffit à casser le quatrième mur qui fait de plus en plus horreur dans le spectacle vivant ?

Leïla Izrar et Noémie Soyez