Mince, James a manqué la transition !

mer, 11/11/2015 - 18:32

"Bond est un mythe. [...] C'est une mythologie avec laquelle tout le monde se sent connecté" déclare Sam Mendes, réalisateur des deux derniers opus de James Bond. Et pourtant, avec Skyfall, le metteur en scène avait réussi à se détourner de ce mythe tout en gagnant l'adhésion d'une majorité de spectateurs. Il ne réitère pas l'expérience : à défaut peut-être ! 

 

 

Comme le coup de pinceau caractéristique d'un artiste, les aventures de James Bond sont marquées par des codes, des canevas identifiables dans chaque épisode et sur lesquels s'appuient les nombreux réalisateurs qui se sont succédés depuis 1962. Pourtant, si le célèbre espion britannique reste encore aujourd'hui un des plus grands mythes du cinéma international - comme en témoigne la sortie de 007 Spectre ce mercredi qui s'empare du record d'entrées en France -, il devenait nécessaire, après vingt-deux opus, d'apporter un nouveau souffle à ces schémas pré-établis pour éviter la lassitude des spectateurs. Aussi, quand Sam Mendes, oscarisé pour son premier film American beauty en 1999, accepte de réaliser le vingt-troisième volet de la saga, Skyfall ; la nouvelle est accueillie avec enthousiasme et impatience. Comment ce metteur en scène, plus habitué à la direction d'acteurs au théâtre ou à la réalisation de films indépendants, va-t-il mener l'élaboration d'un tel blockbuster ? Le pari est risqué mais paie puisque le film s'impose rapidement comme l'un des dix plus gros succès du box-office mondial.

Sam Mendes a fait bien plus dans Skyfall que de s'emparer des codes communs à tous les James Bond. Il s'est joué d'eux en les détournant jusqu'à en faire, parfois, des outils de méta-discursivité sur l'oeuvre totale que composent alors les vingt-trois volets. Cet épisode apparaît en effet comme un moment d'introspection, de réflexion sur la saga avec un héros plus âgé, plus vulnérable mais alors aussi, plus accessible. Les nombreux clins d'oeil aux autres opus et l'attention particulière portée à sa relation avec M et à ses origines ténébreuses permettent à ce film d'emprunter des directions toujours plus surprenantes, devenant un Bond atypique mais tellement rafraîchissant. Éloigné du simple séducteur et du presque super-héros survivant à des situations toujours plus invraisemblables qu'était devenu l'agent 007 des dernières décennies, le James affaibli de Sam Mendes a su faire de nouveaux adeptes sans pour autant décevoir ceux du premier jour.

C'est donc, avec une impatience non feinte, qu'était attendu le vingt-quatrième opus. 007 Spectre est loin de garder l'épaisseur acquise dans Skyfall : plus inégal, plus composite, le film semble régresser et renouer avec des feuilletons d'aventures tandis que les péripéties se succèdent de manière souvent trop peu justifiée. Cela est palpable dès le générique, marque de fabrique des James Bond depuis leur commencement, qui permet aux spectateurs de saisir l'esprit du film dès son début. Alors que la spectaculaire ouverture de Skyfall sur la mort de Bond donne lieu à un générique morbide et nostalgique mais ô combien jubilatoire ; celui de 007 Spectre semble n'être qu'une succession d'effets et de clichés sans grand intérêt - était-il vraiment nécessaire d'insister sur des références aussi usuelles que celle d'une pieuvre entourant les deux corps nus de James et de sa "James Bond girl" ?

Ce générique est pourtant bien révélateur de ce qu'offre le film par la suite. Là où Sam Mendes avait traité avec finesse l'introspection d'un James perdu dans les limbes d'une société à laquelle il n'a jamais vraiment appartenu, il tombe ici dans un manichéisme gauche et dénué d'originalité. Le réalisateur n'a pas su éviter une deuxième fois les travers d'une saga à succès qui existe déjà depuis trop longtemps.
Outre le retour de scènes rocambolesques (avec d'incroyables explosions à Mexico dès la scène d'introduction ou des courses poursuites en voiture le long du Tibre à Rome), les scènes d'émotions laissent de marbre, tendant même parfois vers le grotesque - le spectateur n'a que faire de l'unique larme qui glisse sur le visage de l'héroïne à l'annonce de la mort de son père, bien trop occupé à se demander pourquoi diable le scénariste est allé l'affuble du nom de Madeleine Swann ! Léa Seydoux, bien loin de ses performances d'actrice de La Vie d'Adèle, incarne une "James Bond girl" finalement assez fade, qui se contente de suivre l'agent dans ses péripéties.

Avec Skyfall, Sam Mendes a donné de la profondeur à un personnage qui n'était devenu que glamour. La véritable prouesse du réalisateur est d'avoir été capable de fournir un intérêt nouveau à un héros mythique qui ne portait en lui plus que du déjà-vu. À l'inverse, dans 007 Spectre, tout apparaît rapidement très surfait. Les changements d'attitude ou d'émotion ne semblent servir que le bon déroulé de l'intrigue alors que celle-ci tombe rapidement dans un manichéisme sans grande valeur. La toile de fond se dessine ainsi : le programme "00" est menacé par une surveillance numérique totale et permanente tandis que James, loin des ordres et donc désordres du MI6, s'éloigne de l'agence pour satisfaire les dernières volontés de M et affronter les fantômes de son passé. Un scénario qui ne connait à aucun moment de grandes envolées ni de plongées en profondeur. Les problématiques désormais ordinaires de l'homme face à la machine et du danger du terrorisme immatériel, sont abordées sans singularité. Gentils et méchants s'affrontent jusqu'à une fin en tout point opposée à celle de l'épisode précédent. Ainsi, à l'envoutant final écossais de Skyfall succède une dernière scène digne d'un film romantique pour jeunes adolescentes qui laisse un goût amer dans la bouche.

Skyfall avait été perçu comme un épisode de conclusion et de renouveau, un outil de transition, en somme, vers un nouveau James Bond, moins héros bourru de films d'action. Il semble, hélas, que le tournant n'ait pas été pris et que Sam Mendes se soit fait rattraper par un personnage plus grand et plus vieux que lui : "Bond est un dinosaure sexiste issu de la guerre froide, c'est un fait, mais il ne changera jamais. Il aurait pu disparaître, mais il ne disparaîtra jamais".

 Apolline Mauger et Clara Bee