Dérogeons un instant, si vous le permettez, à la ligne de conduite fixée sur ce blog. Les événements récents nous le permettent voire peut-être nous y obligent. Pour une fois, nous ne parlerons pas d'un livre tout juste sorti mais d'un ouvrage dont nous avons tous entendu parler, que nous avons déjà tous étudié : Traité sur la tolérance de Voltaire, publié en 1763.

Les réseaux sociaux s'affolent, les messages défilent, les coups au coeur s'illustrent et s'écrivent de partout sur la toile. Hommes et femmes se rassemblent ou s'isolent, cherchent un disparu ou errent inconscients dans les rues. Chacun essaye d'évacuer un sentiment trop lourd à porter. La ville paraît comme anesthésiée ; pourtant, tout le monde part en quête de réconfort. À qui comprendra notre confusion pour la vivre également.

Des grandes valeurs arrivent de toutes les directions, sortent de toutes les bouches. Leur sens en est parfois difficilement compréhensible. Nous cherchons à nous retrouver derrière des notions qui nous ont été inculquées depuis l'enfance, sur lesquelles nous savons notre nation construite sans que nous n'en connaissions toujours les véritables tenants. Dans un buzz médiatique qui peut mettre mal à l'aise, ces notions sont utilisées avec maladresse mais ne recherchent finalement qu'à faire le bien. Elles apparaissent comme un message de paix et d'union. Puisque nous nous égarons, égarons-nous ensemble et rattachons-nous à ce qui est attaqué : les fondements de notre vivre-ensemble.

Alors, plus que ces valeurs, qui mal employées peuvent nous conduire à l'opposé de ce que nous désirions, c'est un texte qui sera ici évoqué. Une oeuvre vieille de 250 ans mais qui semble avoir toujours autant de choses à nous apprendre. Dans une actualité hélas brûlante, cet essai contre le fanatisme religieux s'impose comme une source insatiable de savoir, de compréhension et d'union. Aux errances des religions catholiques et protestantes du XVIIIe siècle font échos les dérives de l'islam d'aujourd'hui. Ce texte classique, s'il a ses défauts, demeure encore une dénonciation efficace des préjugés face à tous pouvoirs théocratiques.

C'est en réaction à l'affaire Calas que Voltaire décide d'écrire Traité sur la tolérance. Au-delà de la défense d'un commerçant protestant condamné à mort pour le meurtre présumé de son fils désireux de se convertir au catholicisme, le philosophe entreprend dans cet ouvrage un véritable combat contre l'intolérance religieuse qui a ensanglanté le XVIe siècle et soutenu les tyrannies jusqu'au XVIIIe. Il s'agit là d'un véritable appel au changement reposant sur une prise de conscience de l'homme : car si Voltaire s'adresse à Dieu sous la forme d'une prière, les hommes en sont rapidement identifiés comme les véritables destinataires. Sa rhétorique acide lui permet de condamner avec efficacité la haine et la violence portées par un fanatisme construit, selon lui, sur une importance trop grande donnée aux rites religieux. 

Il est déroutant de se référer encore aujourd'hui à un texte écrit il y a de cela plusieurs siècles. Et pourtant, si nos sociétés ont évolué, le problème de l'intolérance ne les a guère quittées. Le fanatisme n'a jamais été bon, et la lecture d'un tel ouvrage nous rappelle que le détournement de la religion par des sphères privées n'est pas l'affaire d'un peuple et d'une époque. Héritage d'un libre droit de penser et synonyme d'espoir, cette vieille leçon de vie nous pousse encore et toujours à ne pas oublier une exigence première : celle d'apprendre à comprendre autrui.

"Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant." Chapitre XXIII

 

Apolline Mauger et Clara Bee