La décision de la cour de Karlsruhe sur la Eingetragene Lebenspartnerschaft (BVerfGE 105,313) dans le contexte de la question du statut des couples homosecuels en France et en Allemagne

 

I. La question du statut des couples de même sexe
 
Les couples homosexuels sont désormais tolérés dans la plupart des pays européens. La fin de la persécution peut alors être suivie par la reconnaissance sociale et un statut juridique correspondant.
 
À ce jour, le mariage est la seule institution qui peut vraiment instaurer le lien entre union intime et reconnaissance sociale et culturelle, une institution '"sacrée"' même dans les sociétés laïques. Le mariage étant souvent considéré comme le pilier de la société civilisée, sa plus petite cellule, certains pays ont désormais reconnu les "piliers" homosexuels comme faisant partie de l'édifice, méritant ainsi le même respect et la protection accordés a leurs homologues hétérosexuels.
 
Pourtant, en Allemagne tout comme en France et dans beaucoup d'autres pays, cette institution est réservée aux couples de sexe différent, établissant une hiérarchie explicite entre les couples hétérosexuels et homosexuels. Ainsi, ces derniers ne sont pas jugés dignes du support de l'État accordé aux unions hétérosexuelles, célébrées et encouragées par la société. Au mieux, ils se voient accorder des moyens juridiques leur permettant d'établir des liens qui restent bien en-dessous de la signification juridique et culturelle du mariage.
 
En France, le mariage homosexuel se heurte à la pratique juridique, qui interprète les dispositions matrimoniales du Code Civil et les obligations internationales de la République de façon a conclure à l' "évidence" de la condition de l'hétérosexualité (Patrick Courbe, 'Droit de la famille', p.38). Plutôt que des normes explicites, il y a des vaisseaux d'indices, tels que les "suggestions élégantes" (Philippe Malaurie/Hugues Fulchiron, 'La famille' p.87) faites dans l'article 144 du Code Civil, ou le texte de l'article 12 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) ainsi que la jurisprudence de la Cour EDH (13). La jurisprudence française, quant à elle, est sans ambiguïté (10) (11): Un arrêt de la Cour de Cassation suite à la célébration d'un mariage de deux hommes par le maire de la commune de Bègles a rappelé que l'héterosexualité est une condition nécessaire du mariage selon la loi française. La Cour s'est notamment fondée sur l'article 75 du Code Civil, qui n'a certes pas été créé pour consacrer la différence de sexe des époux, mais qui semble y faire allusion par le choix de son vocabulaire ("mari et femme") (11).
 
Face au besoin tout aussi évident d'un cadre juridique pour les unions durables non hétérosexuels, le législateur a proposé l'option d'une union légale inférieure, mais ouverte à tous les couples, qu'ils sont de sexe différent ou de même sexe. L'approche française a mené à la création du Pacte Civil de Solidarité (PACS), introduit dans le Code Civil en 1999 et reformé en 2006. Envisagé d'abord comme un simple contrat, il s'agit désormais d'un statut reflété par l'état civil des partenaires. Il consacre aussi bien des aspects pécuniaires que des obligations d'assistance mutuelle. L'option de préciser les dispositions du Code Civil sur le mariage lui-même par voie légale, et donc de l'ouvrir aux homosexuels, n'a pas été envisagée. Les travaux préparatoires menant à la création du PACS sont d'ailleurs assez explicites sur ce point (Philippe Malaurie/Hugues Fulchiron, 'La famille', p.92).
 
En Allemagne, le mariage est une institution à laquelle la constitution elle-même, le Grundgesetz (GG), octroie une place particulière. Promouvoir et protéger le mariage fait partie des devoirs primaires de l'État allemand. Le caractère hétérosexuel du mariage est un élément "structurel", de valeur constitutionnelle. L'opposition au mariage homosexuel en Allemagne est donc fondée sur une certaine lecture de la Constitution. Pourtant, comme les dispositions du Code Civil français, le texte de l'article 6 du GG n'est pas explicite sur ce point. La différence de sexe est plutôt vue comme une condition évidente, tirée des mœurs et des traditions du peuple allemand au même point que la monogamie (Sodan, 'Grundgesetz', p.95, n°2)(3)(4). Le mariage visé par le GG ne peut être que celui qui a au moins l'apparence superficielle d'être fertile au sens biologique. Dans cette approche, la notion même de "mariage homosexuel" est un oxymore, les deux termes étant incompatibles par nature. La problématique juridique est donc engendrée par des problèmes culturels, voir linguistiques. Le juge constitutionnel allemand, en constatant une évolution profonde des mœurs au point de changer le contenu des devoirs de l'État, serait pourtant capable de donner à l'article 6 une lecture différente. Or, la jurisprudence constitutionnelle estime que cette évolution n'a pas eu lieu, voir qu'elle était inconcevable. Dans l'état actuel des choses, seul une réforme de la constitution pourrait apporter ce changement (Gerhard Robbers in Mangoldt, 'GG Kommentar' p.698, n°47).
 
Afin de contourner ce problème a priori insurmontable qui institutionnalise le traitement inégal des couples homosexuels, le Bundestag allemand, sous l'égide d'une fraction progressiste, a développé une loi visant à établir une institution propre aux couples de même sexe, relevant du droit de la famille. Cette nouvelle institution, qu'on appelle la eingetragene Lebenspartnerschaft (eL, ou "pacte de vie enregistré"), devrait accorder aux couples homosexuels une protection juridique considérable, sans toucher pour autant à la rigidité sacro-sainte des conditions du mariage traditionnel. Limitée aux seuls couples homosexuels, elle va beaucoup plus loin en son contenu que le PACS français. Les réactions à ce projet ont mené à une procédure devant la Cour Constitutionnelle allemande et à la décision du 17 juillet 2002 (1). La décision reflète les problèmes profonds et difficultés énormes qui sont engendrés par toute mesure qui cherche un compromis dans un système où la discrimination entre couples homosexuels et hétérosexuels est accordée un rang constitutionnel.
 
Les deux paragraphes ci-dessous seront consacrés respectivement à l'examen des arguments avancés par les supporteurs et les opposants de cette loi. La partie d'aprLe suivant portera sur les conclusions qu'on peut en tirer sur l'état du droit constitutionnel allemand et établira un parallèle avec la situation en France. Le dernier paragraphe sera consacrée à une comparaison des régimes juridiques issus de ce débat dans les deux pays, et aux évolutions envisageables dans l'avenir.
 
II. Rigidité constitutionnelle et progrès social
 
Les gouvernements des Länder de la Bavière, de la Saxe et de la Thuringe ont porté la 'loi contre la discrimination des unions homosexuelles' (Gesetz zur Beendigung der Diskriminierung gleichgeschlechtlicher Gemeinschaften, 16.02.2002) devant la Cour Constitutionnelle à Karlsruhe.
 
La majorité des huit juges de la Cour a donné son support a cette nouvelle loi. Leur principal argument était de dire que la eL ne crée pas de "mariage parallèle" et ne serait donc pas une menace pour le mariage traditionnel du GG.?Reprenons.
 
A la différence des dispositions de la Constitution française, l'article 6 I du GG dispose que l'État doit protéger le mariage et la famille. On parle de cet article en tant que 'wertentscheidende Grundsatznorm' ("norme fondamentale qui établit les valeurs du système juridique") (2)(Hofmann in Schmidt-Bleibtreu/Hofmann/Hopauf, 'Grungesetz Kommentar', p.272, n°8).
 
L'opinion majoritaire estime que le devoir de l'État de protéger la liberté de se marier- ce qui semble aussi impliquer la protection des limites de cette liberté - n'était pas compromise par la création de la eL, le mariage étant toujours ouvert aux couples hétérosexuels et fermé aux homosexuels ((1), II 1a). En soi, l'existence de cette nouvelle institution n'empêche pas le mariage- par contre, il reste à déterminer comment il faudra aménager les deux institutions lorsqu’un couple veut en utiliser une  avant la dissolution formelle de l'autre ((1), II 1bb). En France, on présume la dissolution du PACS lors de la conclusion d'un mariage, au nom d'une "hiérarchie dans les modes de conjugalité" (Cf. H. Bosse-Platière art. Préc. N°153.13, cité par Patrick Courbe, 'Droit de la famille', p.286) et de la liberté matrimoniale. À noter que la pratique juridique en Allemagne suivant la décision de 2002 a pris une voie différente: ainsi, la présence d'une eL est désormais considérée comme un obstacle potentiel à la conclusion d'un mariage. Paradoxalement, cela peut être justifié par la protection de ce dernier : une personne qui ne prend pas le soin de dissoudre son eL avant de se marier manque la sincérité nécessaire pour adhérer à l'institution du mariage. À la différence d'une personne pacsée, celui qui a conclu une eL est placé dans une situation similaire à une personne mariée en ce qu'il n'est plus libre de se marier selon son gré.  Si donc la tendance est nettement à  concevoir l’eL comme une institution distincte du mariage,  en pratique on est conduit à lui reconnaître un statut équivalent.
 
Selon l'opinion majoritaire au sein de la Cour, l'obligation constitutionnelle de protéger et de promouvoir l'institution du mariage n'est pas à assimiler à une obligation d'opposer toute autre forme de vie en couple ((1), II 1b). Il suffit de garantir que le mariage traditionnel soit toujours privilégié. Le GG reste muet sur le traitement des autres unions ((1), II 1cc). Les juges font notamment référence au débat de doctrine sur la question si la protection de la famille n'implique pas une obligation constitutionnelle de discrimination contre les enfants nés hors mariage. En Allemagne, les enfants nés hors mariage ont été accordés les même droits que les enfants "légitimes" à l'occasion de la Kindschaftsrechtsreform de 1989. En France, cela s'est fait par étapes depuis 1972, pour aboutir à la suppression formelle des termes "enfant naturel" et "enfant légitime" du Code Civil en 2006. Dans les deux pays, le système juridique a fini par s'adapter aux besoins réels de la société, au détriment des approches traditionalistes.
 
La eL s'adresse à des couples qui sont physiquement incapables de conclure le mariage tel qu'il est défini en Allemagne, il ne s'agit donc pas d'une institution qui pourrait entrer en concurrence avec ce dernier. Selon la terminologie juridique allemande, il s'agit d'un aliud, donc d'une différence de nature et non pas de degré. La protection du mariage hétérosexuel n'est pas compromise.
 
Voilà une différence importante avec le PACS français : le PACS est ouvert à tout le monde et se présente pour beaucoup de couples en France comme une alternative au mariage. Statistiquement, il y a bien plus de couples hétérosexuels que homosexuels qui bénéficient de cette "offre" (statistiques ouvertes depuis 2006). En Allemagne, de tels développements seraient probablement interprétés comme la perte potentielle de milliers de mariages potentiels.
 
De surcroît, la eL n'effectuait pas de discrimination sexuelle en violation de l'article 3 du GG: les couples de sexe différent peuvent conclure le mariage, ainsi leur exclusion de la Lebenspartnerschaft était sans importance; de toute façon ce serait une discrimination fondée sur la combinaison des sexes et non sur le sexe de chacun, tout comme la discrimination qui est le fondement du mariage lui-même. Bien entendu, il reste une discrimination formelle, mais celle-ci est justifiée car il est permis de traiter des situations différentes de façon différente ((1), II 2b). Cela fait écho à la jurisprudence française sur l'application du principe d'égalité, y compris dans les cas concernant le traitement du PACS et du mariage (9).
 
La conclusion, c'est que la eL peut exister à côté du mariage hétérosexuel, ou mariage tout court. Le mariage est une institution du GG, mais en dessous du GG le législateur peut créer d'autres institutions de nature différente. Certains juristes vont encore plus loin en envisageant une obligation de l'État d'éroder de facto les structures de discrimination au nom de l'article 3 du GG, qui consacre le principe d'égalité (Gerhard Robbers in Mangoldt, 'GG Kommentar' p.698, n°47).
 
Les juristes allemands se gardent bien de le dire explicitement, mais il paraît qu'à l'image de la démarche mise en œuvre aux USA au temps de la ségrégation raciale, une approche "separate, but equal" est envisageable- tant que la discrimination est maintenue.
 
III. Une décision problématique
 
Une minorité parmi les juges constitutionnels (juges Haas et Papier) et une partie de la doctrine sont choquées par une lecture si libérale et - comme le disent certains - tout à fait erronée du GG (Hofmann in Schmidt-Bleibtreu/Hofmann/Hopauf, 'Grungesetz Kommentar', p.276, n°19 à 21). Le fait que la voie est désormais ouverte à une certaine égalité de facto entre couples homosexuels et hétérosexuels en Allemagne serait une catastrophe constitutionnelle ((1) Papier, §3).
 
Cela commence par l'application du principe de l'égalité. Ainsi, créer une institution ouverte aux couples de même sexe mais fermée aux couples hétérosexuels constituait une violation des principes consacrés par l'article 3, la "combinaison des sexes" étant un critère discriminatoire au même plan que le "sexe" tout court ((1) Haas, 2b). Le fait que le mariage lui-même pratique la discrimination relève de son privilège constitutionnel, car le mariage est placé au-dessus du principe de l'égalité (Hofmann in Schmidt-Bleibtreu/Hofmann/Hopauf, 'Grungesetz Kommentar', p.277, n°21).
 
Selon Haas, il n'y a aucune justification non plus de créer un statut qui privilégie les couples homosexuels par rapport à d'autres Lebensgemeinschaften telles que les contrats de soutien conclus entre membres d'une famille. À noter que des considérations relevant de la relation particulière qui unit le couple, sont strictement exclus de son argumentation. En France, la "vie en couple" a été reconnue comme élément essentiel du PACS (12). Haas ne considère même pas que cet élément justifiait un statut particulier ((1) Haas, 2).
 
Mais l'opposition la plus ferme à cette loi relève de la lecture de l'Institutsgarantie du mariage ("garantie de préservation de l'institution", voir (8)). Ainsi, la protection constitutionnelle du mariage impliquait de combattre non seulement toute institution qui risquait de le remplacer, mais aussi ceux qui risquaient de mettre en question son caractère unique. Ce caractère unique était en péril dès lors qu'il existent des "pseudo-mariages" qui jettent un ombre sur l'image officielle d'un ordre social fondé sur le principe "un homme, une femme". Cela fait écho à un propos du Haut Conseiller J-L Aubry, qui énonce: "La communauté de vie d'un couple homosexuel est, au mieux, neutre, tandis que celle d'un ménage hétérosexuel est porteuse d'espoir et de longévité pour la société" (note préc., D., 1998; cité par Patrick Courbe 'Droit de la famille' p.262). Cette idée est ainsi élevée au rang de doctrine devant guider la pensée juridique, de Leitbild (Hofmann in Schmidt-Bleibtreu/Hofmann/Hopauf, 'Grungesetz Kommentar', p.276, n°19). Le commandement de protection est un commandement de lutte contre les imitations et parodies ((1), Papier, §3). Le GG oblige le législateur de conserver le mariage des Strukturprinzipien- pour cela, il devrait garantir qu'il n'y aura pas de "mariage sauvage" capable de les violer. Les supporteurs de la eL sont accusés de jouer sur les mots: le fait qu'une union n'est pas un mariage au sens du GG ne l'empêchait pas d'être un mariage défectueux qui doit être persécuté ((1), Haas, 2a).
 
Selon les deux opinions dissidentes, le principe constitutionnel de la discrimination entre les couples hétérosexuels et homosexuels ainsi que le principe constitutionnel de l'égalité devraient interdire la création de la eingetragenen Lebensgemeinschaft (Hofmann in Schmidt-Bleibtreu/Hofmann/Hopauf, 'Grungesetz Kommentar', p.276, n°19 à 21). En bref, le GG devrait se lire comme un labyrinthe impitoyable pour les couples de même sexe.
 
IV. Analyse du débat
 
Les homosexuels ne peuvent pas se marier. Tel est le consensus au sein de la Cour Constitutionnelle allemande. Au fond, le clivage a lieu entre deux fractions conservatrices qui croient fermement aux éternels Strukturprinzipien non-écrits de l'article 6 du GG. Le GG doit se lire comme incarnation de la culture et des traditions du peuple allemand, qui n'ont pas vocation à évoluer.
 
En France, l'introduction du mariage homosexuel relève essentiellement de la volonté du législateur. Le choix de ne pas entamer cette évolution suggère une certaine stagnation politique. En Allemagne, on constate l'existence d'initiatives politiques qui essayent de rompre avec les vieilles structures de discrimination, malgré de fortes difficultés constitutionnelles. Dans les deux cas, il a été décidé de contourner le problème par la création d'institutions alternatives, au lieu de le résoudre vraiment. Mais ce qui paraît comme stagnation en France s'est présenté comme un dilemme constitutionnel douloureux en Allemagne.
 
Alors que les uns considèrent la eL comme un aliud- après tout, ce qui est homosexuel ne peut être mariage par définition-, les autres la considèrent comme un mariage défectueux qui mérite le courroux du GG. Paradoxalement, les deux arguments sont fondés sur l'idée d'une incompatibilité naturelle du mariage et de l'homosexualité. La fraction la plus conservatrice croit de trouver dans l'article 6 du GG une sorte de "principe hétérosexuel" à valeur constitutionnelle. La fraction la plus progressiste, dominante en Allemagne, considère le mariage strictement hétérosexuel comme une institution du GG, une sorte d'animal sacré de la culture allemande auquel on a accordé la protection étatique et un statut privilegié. Comme les plus conservateurs, cette fraction craint le courroux des ancêtres, mais croit en même temps qu'il ne porte pas sur les avancées faites en matière de lutte contre la discrimination.
 
V. Perspectives
 
La loi a été adoptée, et les homosexuels en Allemagne bénéficient désormais d'un des régimes les plus favorables en Europe, plus avancé que celui crée en France: il contient "les caractéristiques essentielles du mariage" (Hofmann in Schmidt-Bleibtreu/Hofmann/Hopauf, 'Grungesetz Kommentar', p.276, n°19). Il est curieux de noter que cela s'étend même à certaines traditions juridiques allemandes particulières, notamment le Namensrecht ("droit des noms"), une problématique qui ne se présente pas en France où la séparation des noms de famille est la règle. Ainsi, les partenaires de la eL peuvent adopter un nom commun, tout comme les couples mariés. Cet élément peut paraître comme n'ayant qu'une portée limitée en pratique, mais il a une valeur symbolique assez importante. L'application des traditions du mariage à la eL marque un degré de reconnaissance juridique et sociale inédit.
 
Le droit du patrimoine de la eL et du PACS s'approche à celui du mariage. Dans le cas du PACS, la séparation des biens est la règle, alors que le système d'indivision ou la communauté réduite aux acquêts doivent être établis par des stipulations contractuelles explicites. Dans le régime du mariage français, le système est inversé. En droit allemand, eL et mariage partagent le même régime par défaut, qui correspond à la communauté réduite aux acquêts française, mais il est possible de se doter d'un régime différent par voie contractuelle.
 
La jurisprudence constitutionnelle allemande a été confirmée récemment de façon à encore plus éroder la différence de facto entre mariage et eingetragene Lebenspartnerschaft (5)(6). Même si l'évolution en France semble plus modeste, les reformes allemandes trouvent leur écho dans une certaine "matrimonialisation" du PACS depuis 2006 (Patrick Courbe, 'Droit de la famille', p.275).
 
Il restent pourtant de limitations importantes dans les deux cas.
 
Une des limites les plus significatives concerne le droit de l'adoption. Il n'est permis ni aux pacsés ni aux partenaires de la eL d'apoter un enfant ensemble en leur qualité de couple. Le mariage reste ainsi la seule forme de vie en couple reconnue en tant que foyer familial à part entière. L'ordre juridique fait ainsi écho à la présomption biologique, qui établit que seuls les couples hétérosexuels peuvent avoir des enfants ensemble. Par contre, les partenaires de la eL peuvent obtenir un statut correspondant aux droits d'un beau-père ou d'une belle-mère à l'égard de l'enfant de leur conjoint (Kleines Sorgerecht).
 
Une autre différence importante avec le mariage concerne le régime de la dissolution de l'union. Même si la procédure est plus exigeante pour la eL allemande que pour le PACS français, avec notamment un délai de 12 mois avant que la dissolution ne puisse être prononcée par un juge, elle reste bien moins compliquée que celle du divorce dans les deux cas. Cela peut paraître comme un avantage, et c'est certainement le cas aux yeux des couples hétérosexuels pacsés en France, mais cela indique aussi que l'opposition de la société à la rupture de ces liens reste assez faible. La perte d'une eL ou d'un PACS n'est point regrettée. En France, on présente souvent les prétendus avantages du PACS comme justifiant un traitement inégal des pacsés et des époux (9). Après tout, si le couple a choisi une union plus faible que le mariage au nom d'une plus grande liberté, c'est à lui d'en assumer les conséquences. Considérant que le PACS reste pour l'instant le seul choix possible pour les couples homosexuels en France, cet argument paraît assez douteux. La eL allemande quant à elle n'a pas cette vocation explicite à établir une union plus libérale que le mariage, mais elle reste tout de même une institution distincte et inférieure en plusieurs aspects.
 
Il convient ici de rappeler que des pays tels que les Pays-Bas, la Belgique et Espagne ont dépassé ce genre de débat depuis longtemps, en acceptant l'ouverture de la définition même du mariage. Ici, le mariage homosexuel n'est ni mariage défectueux, ni aliud, mais mariage tout court. En Allemagne, on peut au moins constater une défaite des traditionalistes de la discrimination de résultat aux mains de ceux qui essayent d'accommoder une lecture du GG qu'ils n'osent pas mettre en question.
 
Quid pour des évolutions envisageables dans le contexte de l'intégration juridique et de l'échange transnational en Europe, notamment en matière des libertés de circulation?
 
En France, il y a un risque réel de renversement total du système. Pour l'instant, un mariage homosexuel conclu à l'étranger n'est pas censé produire des effets en France, les mariés ne seront même pas considérés comme étant pacsés selon la loi française. Mais si on se tient à certaines réponses ministérielles, la situation est susceptible d'évoluer (Philippe Malaurie/Hugues Fulchiron, 'La famille', p.91, citation de réponses ministérielles n°41533 et n°20257). Dès lors qu'on reconnaît les effets d'un mariage homosexuel conclu à l'étranger, n'est-ce pas mettre en question l'"évidence" hétérosexuelle? Et si la CJCE finissait un jour par conclure que la non-reconnaissance de mariages constitue une violation de la liberté de circulation des personnes? "Dans le jeu du tout ou rien, le tout risque de l'emporter" (Philippe Malaurie/Hugues Fulchiron, 'La famille', p.92).
 
En Allemagne, la résistance contre la "dissolution rampante" des Strukturprinzipien constitutionnels risque d'être plus ferme, la jurisprudence constitutionnelle étant déterminée à toujours se référer a la définition allemande du mariage (7). Selon le juge allemand, l'Union Européenne n'a aucune compétence en matière matrimoniale. Pour remplir ses obligations européennes, il suffit que l'Allemagne reconnaisse le mariage homosexuel conclu à l'étranger en tant que eL (14)(15).
 
 
 
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Bibliographie

LpartDisBG, Ges v. 16.02.2002 ;

ouvrages français
 Philippe Malaurie/Hugues Fulchiron, 'La famille', 2006 ; Patrick Courbe, 'Droit de la famille', 2008 ;
 
ouvrages allemands
Schmidt-Bleibtreu/Hofmann/Hopauf, 'Grungesetz Kommentar', 2008 ; v. Mangoldt/Klein/Starck, 'GG Kommentar' Band 2, 2010; Sodan, 'Grundgesetz', 2011
 
Décisions de justice
(1) BVerfGE 105,313 ; (2) BVerfGE 31,69 ; (3) BVerfGE 10,59,66 ; (4)BVerfGE 105,313,345 ; (5) BVerFGE - 1.BvR 1164/07 ; (6) BVerGE - 1.BvR 611/07 ; (7) BVerfGE 62,323,330 ; (8) BverfGE 21,58 ; (14) VG Karlsruhe, 09.09.2004 - 2 K 1420/03; (15) OLG München, 06.07.2011 - 31 Wx 103/11;
(9) CE 28 juin 2002 ; (10) TGI Bordeaux 27 juillet 2004 ; (11) CA Bordeaux 19 avril 2005 ; (12) CC 8 décembre 2007 Cf. CA Paris 9 novembre 2006 ;
(13) CEDH 28 nov.2006 Parry c./Royaume-Uni