Le respect par le droit européen, du principe international de non refoulement ; par Camille Decaens.

Résumé : Le Système Européen Commun d’Asile intègre le principe de non refoulement issu de la Convention de Genève. En conséquence, la Cour de justice de l’Union européenne se reconnait compétente pour l’interpréter et en préciser l’application. Dans leur application du droit  européen de l’asile, les Etats membres doivent en outre respecter les principes de droit international inhérents au non refoulement, sous peine de se voir condamner par la Cour Européenne des droits de l’homme.

 

Les événements récents du monde arabe et leur conséquence sur l’Europe nous amènent à analyser le fonctionnement du droit européen en matière d’asile et de protection des réfugiés. En effet, fuyant des situations de conflits dans leurs pays d’origine, de nombreux migrants arrivent aux portes de l’Europe pour y chercher refuge. La réponse donnée par certains pays permet de douter de l’efficacité du système européen commun d’asile (SECA) et de l’effectivité de la protection européenne apportée à de tels réfugiés : l’actualité nous en montre les défauts et les conséquences sur le principe de non refoulement. En tant que principe international reconnu par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 et le Protocole de New York de 1967, les Etats ne peuvent refouler une personne dans un Etat « où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques» (article 33 de la Convention de Genève). Le système européen commun d’asile (SECA) répond à une volonté d’harmonisation des régimes nationaux en matière d’asile et s’est, au fur et à mesure des Conseils européens (de Tampere de 1999, de Stockholm, adopté le 10 décembre 2009 pour la période de 2010 à 2014) développé de façon à transférer des compétences en matière d’asile, à l’Union. D’ici à 2012, le SECA prévoit notamment l’établissement d’une procédure commune d’asile et d’une protection internationale uniforme : mais comment le droit européen garantit-il le principe de non refoulement ? Le SECA se base sur le droit international et, en particulier sur la Convention de Genève pour assurer l’effectivité du principe de non refoulement. En conséquence, la CJUE se reconnait la compétence d’interpréter ladite Convention et en précise l’application. Les Etats membres, dans leur application du droit européen, doivent en outre respecter les principes de droit international inhérents au non refoulement, sous peine de se voir condamner par la Cour Européenne des droits de l’homme.

 

Le système européen commun d’asile soumis au respect de la convention de Genève

« Le Conseil européen, lors de sa réunion spéciale de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, a convenu d’œuvrer à la mise en place d’un régime d’asile européen commun, fondé sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève […], et d’assurer ainsi que nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté, c’est-à-dire d’affirmer le principe de non-refoulement » (Selon le deuxième considérant de la Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions pour pouvoir prétendre au statut de réfugié). En effet, le droit européen fait directement référence au droit international et en particulier à la Convention de Genève et son protocole, afin de déterminer sa politique d’asile. En son article 78, le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) les élève au rang de droit primaire, et réaffirme les droits qu’ils protègent, en leur laissant le soin de déterminer quelles personnes bénéficient du statut de réfugié, puisqu’aucune définition du « réfugié » n’est présente dans la Charte ni dans le TFUE. Intégrée dans le droit constitutif de l’Union Européenne, la Convention de Genève guide le développement du système européen d’asile : elle doit donc primer sur le droit européen dérivé (article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et article 78, 1 du TFUE « L'Union développe une politique commune en matière d'asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à (…) assurer le respect du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, ainsi qu'aux autres traités pertinents. »)

Différents statuts sont ainsi créés par le droit européen afin de garantir l’effectivité de ce principe international de non refoulement: ils s’inscrivent dans le cadre de la protection temporaire de la Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 et de la protection subsidiaire établies dans la Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 dite « Qualification ».  La protection subsidiaire qui, par définition s’appliquera aux personnes ne pouvant bénéficier de la protection « principale » issue de la Convention, vient donc amplifier le champ de la protection internationale contre le refoulement en considérant que toute personne, personnellement menacée en cas de guerre civile ou risquant la peine de mort ou la torture dans son pays, pourra bénéficier de ce statut protecteur basé sur des considérations humanitaires, distinct de celui de Genève.

Le droit européen intègre donc les instruments internationaux de protection des réfugiés. Sur la base du principe de non refoulement, il développe en outre, au sein de son droit dérivé, des instruments qui lui sont propres, afin de proposer des solutions plus flexibles, s'adaptant à différentes situations. La CJUE s’est en conséquence reconnue compétente pour  interpréter la Convention de Genève afin d’en préciser les contours.

 

L’interprétation de la convention de Genève par le juge européen:

La volonté européenne d’établir un régime commun de droit d’asile (Conseil Européen de Tampere point 14) et d’éviter ainsi les divergences d’interprétation, pousse le juge européen à interpréter les dispositions des instruments internationaux. Si l’Union européenne n’est pas partie à la Convention de Genève, sa future adhésion est souhaitée par le programme de Stockholm (qui fixe les grandes orientations de l’Union Européenne en matière de justice, de liberté et de sécurité pour les années 2010-2014). En effet, « il existe un intérêt de l’Union certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions de cette convention internationale reprises par le droit national et le droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer » (CJUE, 9 novembre 2010, Bundesrepublik Deutschland c. B et D., C-57/09 et C-101/09, point 71). Ainsi, la Cour interprète les dispositions contenues dans la Convention de Genève et reprises par les directives européennes afin d’assurer l’effectivité des normes de droit international relatives à l’asile et notamment du principe de non refoulement (de l’article 21 de la directive Qualification).

Le droit européen renvoie à la convention de Genève pour déterminer le statut de réfugié et reprend les motifs de persécution qui en permettent l’obtention, en précisant toutefois que l’interprétation à donner à la norme internationale doit être faite en considération de la possible détermination collective du statut de réfugié et du bénéfice du doute recommandé par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié). Ainsi, la CJUE interprète la directive Qualification et notamment son article 15 qui soumet l’octroi de la protection subsidiaire à « l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne», de manière à élargir le champ d’application de la protection internationale, en privilégiant notamment le caractère général d’une situation de conflit « d’une violence aveugle » plutôt que le comportement individuel, pour caractériser la menace de persécution (CJUE, affaire C-465/07 Meki et Noor Elgafaji c/ Staatssecretaris van Justitie). En revanche, c’est le comportement individuel qui sera apprécié lors de l’application des clauses de cessation et d’exclusion du statut de réfugié (articles 11 et 12), exceptions à l’application du principe de non refoulement. La Cour se refuse donc à toute appréciation généralisée et rappelle que ces clauses doivent être appréciées strictement. Ainsi, dans les cas d’appartenance à un organisme terroriste, l’Etat d’accueil ne peut exclure un réfugié en se fondant « uniquement sur son appartenance à une organisation figurant sur une liste adoptée en dehors du cadre que la directive a instauré dans le respect de la convention de Genève » (affaires jointes C-57/09 et C101/09).

Le droit européen intègre donc le droit international de protection des réfugiés, en précise l’application et en contrôle le respect. Avec Lisbonne, l’utilisation du recours à titre préjudiciel rendu accessible à toutes les juridictions d’un Etat membre et non plus seulement à celles insusceptibles de recours juridictionnel en droit interne, va permettre un développement de sa jurisprudence en matière d’asile et une harmonisation dans l’interprétation du droit international des réfugiés par les Etats membres.  De cette manière, l’intégration du principe de non refoulement dans le droit européen entraîne la présomption selon laquelle tous les états membres respectent ce principe et ses conséquences en matière de protection des droits de l’homme, et leur confère ainsi le statut d’Etats « sûrs ». En jouant son rôle de protectrice des droits fondamentaux, (principalement l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradant protégée par l’article 3 de  la Convention européenne des droits de l’homme), la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH) passe cependant outre cette présomption et contrôle le respect par les Etats, de leurs engagements en  matière de droits de l’homme lorsqu’ils procèdent à un refoulement intra-européen.

 

Le recours à la Convention Européenne des droits de l’homme pour garantir le principe de non refoulement

Le Règlement (CE) dit Dublin no343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, est mis en place pour répondre aux attentes du SECA.  Selon ce Règlement, le premier Etat membre de l’UE sur le territoire duquel est arrivé le réfugié, est responsable de l’examen de la demande d’asile et de l’octroi de la protection adéquate ; celui-ci se voit en conséquence obligé par le principe de non refoulement. La présomption décrivant les Etats européens comme Etats « sûrs », puisque garants du non refoulement, a cependant été contestée par la CEDH. En condamnant les Etats membres (notamment la Grèce et la Belgique) au titre d’un traité international, (l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme), la Cour remet en cause le refoulement intra européen permis par le système Dublin. L’Union européenne n’étant pas partie au statut de Rome, la Cour ne peut condamner l’UE en tant que partie. Elle contrôle le respect, par les Etats, du principe de non refoulement et  les condamne, alors même qu’ils faisaient application d’un Règlement européen (Requête no 30696/09, MSS c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011). Ce sont ainsi les conséquences au plan international d’un acte européen, qui sont ici remises en cause. En condamnant la Belgique pour le renvoi de réfugiés afghans en Grèce, premier Etat d’arrivée, pour ne s’être pas préalablement assurée de l’efficacité de la protection fournie par la Grèce, la CEDH remet en cause la présomption de pays sûrs et vérifie l’application effective du non refoulement. Sur la base de l’article 3 de la CEDH, la Cour réaffirme l’importance du principe de non refoulement et révèle une contradiction entre l’instrument international de protection des réfugiés et le droit européen dérivé. Le pouvoir discrétionnaire des Etats dans le déroulement de l’examen de la demande d’asile s’avère affaiblir l’efficacité du principe de non refoulement et crée un risque de voir la protection inhérente refusée. La Belgique aurait dû prendre en compte les risques liés au système d’asile défaillant de la Grèce ; la Cour pousse la protection contre le non refoulement à son paroxysme en condamnant l’Etat n’ayant pas vérifié que la réadmission vers un pays européen considéré comme « sûr » n’entrainerait pas un refoulement vers un pays « non sûr », où le réfugié serait susceptible de subir des traitements inhumains ou dégradants en violation de l’article 3. Le fait que certains Etats membres aient naturellement suspendu les renvois vers la Grèce, et décidé d’appliquer la clause de souveraineté, démontre bien l’influence de la CEDH sur l’exécution par les Etats membres des normes européennes , puisque celle-ci fait de la protection des droits de l’homme une priorité. La probable future adhésion de l’union européenne à la CEDH, rendue possible par le Traité de Lisbonne lui attribuant la personnalité juridique, devrait permettre une lecture plus claire d’un tel arrêt et renforcer son impact sur la législation européenne et non seulement sur l’application qu’en font les Etats membres.

 

Le SECA est conditionné par le principe de non refoulement provenant du droit international des droits de l’homme et doit développer sa politique de manière à mettre en place la protection internationale inhérente. La mise en œuvre effective de la Directive 2001/55 établissant une protection temporaire, pourrait être une solution et obliger les Etats à agir solidairement de manière à garantir le principe de non refoulement, notamment pour éviter toute violation provoquée par l’incapacité d’un pays à recevoir dignement les réfugiés arrivés massivement après avoir fui un régime anti-démocratique. Le SECA ne pourra garantir efficacement le principe de non refoulement que s’il impose une réelle solidarité européenne dans la protection des réfugiés, comme l’encourage le Conseil Européen de Stockholm.

 

BIBLIOGRAPHIE:

> Ouvrages généraux

- DIEZ DE VELASCO Manuel, Instituciones de derecho internacional público, tecnos, 17ª edición, 2008.

> Articles

- Maria Teresa Gil-Bazo “The Protection of Refugees under the Common European Asylum system. The establishment of a European Jurisdiction for Asylum purposes and compliance with International Refugee and Human Rights Law” Cuadernos Europeos de Deusto, ISSN 1130-8354, num 36/2007, Bilbao, p153-182.

- Cristina Gortazar Rotaeche  “Building the CEAS: ad intra and ad extra: how to avoid non-refoulement and neo-refoulement”. En instance de publication.

> Textes officiels

- Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950

- Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 et le Protocole de New York de 1967

- UNHCR Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié p203-204

Textes de l’Union Européenne:

- Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (article 78)

- Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions pour pouvoir prétendre au statut de réfugié.

- Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.

- Le Règlement (CE) no343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers

> Décisions

Arrêts de la CJUE

- CJCE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji contre Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, note P. de Bruycker, « Chronique de jurisprudence de la Cour de justice », Cahiers de droit européen 2010 p. 152

- CJUE, 9 novembre 2010, Bundesrepublik Deutschland c. B et D., C-57/09 et C-101/09, point 71

Arrêts de la CEDH

- CEDH, requête no 30696/09, MSS c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011

> Sites internet

- site du CEAR (comisión española de ayuda al refugiado) http://www.cear.es/files/CEAR%20INFORME_2010.pdf

- site de l’UNHCR http://www.unhcr.org/refworld/pdfid/435d05384.pdf