Camille Zéhenne, la jeune artiste Parisienne multiplie les performances dans des lieux toujours plus divers : espaces urbains, lieux publics ou centres d'art. Elle partage sa vision ironique et décalée de la société, souvent en s’appuyant sur une vidéo préalablement filmée ou personnalisée. Les vidéos et les performances cohabitent dans son Å“uvre, complémentaires et indépendantes à la fois. Ici, nous vous proposons une approche de ces formes utilisées par Camille Zéhenne.



La performance comme façon d’introduire l’ironie dans le discours critique


L’œuvre de Camille Zéhenne est caractérisé par la forme de la performance-conférence. Mais pour quelle raison a-t-elle fait le choix de cette forme hybride et atypique ?


Pour commencer, Camille Zéhenne est une artiste particulière : elle est aussi doctorante en sciences de l'information et de la communication. Son envie de travailler sur la forme hybride de la performance-conférence semble être le fruit de cette double influence scientifico-artistique. Elle l’admet, elle adore lire des textes universitaires mais elle les trouve terriblement ennuyeux. Elle a l’habitude d’exprimer ses thèses par des articles, mais l’artiste qui sommeille en cette universitaire a besoin de plus de liberté de ton et d’expression. Camille Zéhenne crée des performances dans lesquelles elle s’émancipe de toute contrainte de discours, elle éprouve le langage et « carnavalise Â» la parole universitaire. Cette forme lui permet d’exprimer sa vision de la société, souvent très détachée et sarcastique. Elle décrit sa démarche en disant qu’elle a « une attitude très sérieuse dans la manière de rendre compte du monde de façon humoristique Â» et ses performances Amusement et Å’uf illustrent parfaitement cette démarche ambiguë. Dans son Å“uvre artistique, Camille Zéhenne peut se permettre l'ironie et la forme de la performance est un bon moyen de la faire saisir au public, en dépassant nettement les frontières universitaires.


De plus, pour Camille Zéhenne, l’art est un bon matériau de réflexion sur les grandes problématiques de notre société et il est un moyen de faire passer des connaissances, de façon parfois plus efficace que le système scolaire. Pour elle, la frontière entre le savoir universitaire et l’art est poreuse, ces deux domaines sont complémentaires, offrant des approches et discours différents. Elle nous demande : apprend-t-on plus de choses sur les couleurs en regardant un tableau de Kandinsky ou en lisant un essai sur la couleur ? ou encore, un cours sur la situation de la femme ouvrirait-il plus l'esprit que l’œuvre Les femmes peuvent continuer d’éplucher les patates ? Les réponses ne sont pas données mais ces interrogations provoquent un vrai débat. Pour l'artiste, la performance est un monde dans lequel on peut dire ce qui nous tient à cÅ“ur, et sans laisser de traces. Elle est en effet très attachée à cette forme pour son aspect éphémère. Elle refuse de présenter deux fois la même, argumentant que cela enlèverai tout caractère à son art et à son propos.


La vidéo, contrainte ou richesse ?

On ne peut réduire l’œuvre de Camille Zéhenne à la seule performance tant l’artiste semble capable d’exploiter chaque parcelle de réel pour créer des formes inédites. En effet, elle a cette faculté de se saisir de tout et d’un rien pour travailler. Elle donne cependant un rôle prépondérant à la vidéo dans son œuvre globale : entre contrainte et richesse, il est fondamental d’analyser ce medium pour comprendre la démarche singulière de l’artiste.


D’abord, Camille Zéhenne considère que la vidéo est une Å“uvre en soi. Avec son acolyte Ludovic Gayer, elle se filme en train d’occuper des espaces le plus souvent de façon décalée et insolite comme dans Chercher la chute et Amusement . Par exemple, dans Amusement ils « trippent  Â» avec des règles, des avions en papiers ou encore des crânes dans un collège vidé de ses élèves. Ces performances ont d’emblée la vocation d’être filmées, il ne s’agit pas d’une captation mais plutôt d’une vidéo-Å“uvre d’art. Par ailleurs, le medium vidéo peut également servir de dispositif pour les performances de Camille Zéhenne, c’est notamment le cas pour ses performances-conférences Å’uf et Les femmes peuvent continuer d’éplucher les patates. La vidéo est aussi un medium dans ses performances vocales ou « voix-off Â» telles que Cooking with your mind, Bananananana, L’arroseur arrosé, etc. On voit donc que la vidéo est soit une Å“uvre, soit un matériau pour une Å“uvre performée. Mais alors, pourquoi l’artiste a-t-elle choisi d’extraire certaines vidéos de ses performances live pour les exposer sur son blog ?


A vrai dire, nous répond-t-elle, ce n’est pas la conséquence d’un choix mais plutôt d’une contrainte car il est nécessaire de présenter des dossiers illustrés pour obtenir des résidences, concourir pour des prix, demander des subventions… La captation d’une performance dénature forcément celle-ci dont l’essence est éphémère et évanescente et la perception complexe et multiple. De plus, une captation modifie également la performance par la présence d’une caméra ou encore par le fait qu’il faille y réfléchir, questionner son efficacité, l’inscrire dans le processus de création. Face au résultat de certaines captations peu satisfaisantes, Camille Zéhenne s’interroge et envisage un protocole de retranscription de ses performances. Un réel enjeu pour elle et son œuvre. Si l’artiste se questionne encore sur la restitution d’une performance telle que Réveils qui s’est tenue dans la salle de cinéma du Palais de Tokyo en 2015, elle trouve d’ores et déjà une piste intéressante pour l’élaboration de ce protocole dans la vidéo devenue autonome : Les femmes peuvent continuer d’éplucher les patates. Finalement, de cette contrainte de la captation semblent poindre de nouvelles façon d’appréhender et de détourner le réel, de nouvelles possibilités et formes artistiques.



Il nous a paru intéressant d’analyser l’oeuvre de Camille Zéhenne sous ces angles car son art est à première vue plein de paradoxes : il se situe entre l’éphémère de la performance et la persistance de la vidéo, mais aussi entre l’ironie et le sérieux, assumant tantôt le rôle social de la parole d’artiste, tantôt l’inspiration de nature triviale. Il apparaît finalement que tout cela n’est pas si contradictoire puisque Camille Zéhenne fait fi des frontières. À l’image de la contrainte de la captation devenue nouveau champ d’expérimentation, l’artiste déploie sans cesse son imagination débordante et son énergie pour trouver de nouvelles formes d’expression qui viennent nous titiller dès que le quotidien semble un peu trop monotone.  


Laureline Guilloteau et Anaïs Godemet

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