Commentaire de la section 501 du Copyright Act de 1976 : sur l’influence de l'état d'esprit du contrefacteur dans le calcul des dommages-intérêts, par Caroline Jamet

Selon l’article L. 335-2 al 1 du Code français de la Propriété Intellectuelle, « toute édition d’écrit, de composition musicale, de dessin, de peinture, ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit ». De même, la section 501(a) du Chapitre 17 de l’ « United State Code » prévoit que « tout individu portant atteinte aux droits exclusifs d’un propriétaire d’un copyright est coupable de violation de copyright ».

Dans les deux systèmes, la victime d’une telle violation peut entamer une action aussi bien sur le plan civil que pénal. Au plan pénal une condamnation requiert au minimum la mauvaise foi du contrevenant, alors qu’aucun élément intentionnel n’est nécessaire sur le plan civil. En effet, s’il n’y a pas de mauvaise foi, une action civile en responsabilité délictuelle peut être intentée car la contrefaçon constitue une faute civile et les juges n’ont pas à rechercher l’existence d’une faute dès lors que le contrefaçon est établie. Sur ce point, le droit français et le droit américain sont relativement similaires.
Cependant, les deux systèmes sont extrêmement différents en ce qui concerne l’octroi de dommages et intérêts une fois la violation établie. Les juges français peuvent apprécier souverainement le montant des dommages et intérêts devant être octroyés au titulaire du droit d’auteur. Mais leur pouvoir est bien moindre que celui dont dispose le juge américain, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation, en raison d’un des principes fondamentaux du droit français : le principe de réparation intégrale, duquel découle l’interdiction des dommages et intérêts punitifs, sans relations avec le préjudice.


Avant 2007, et le passage de la loi de transposition de la Directive Européenne n° 2004/48 du 29 avril 2004 adoptée pour répondre au problèmes de la contrefaçon, les tribunaux français se fondaient principalement sur les articles 1382 (principe de réparation intégrale du dommage par celui qui le cause) et 1149 (principe de responsabilité contractuelle : « les dommages et intérêts dus au créanciers sont, en général, de la perte qu’il a fait et du gain dont il a été privé ») du code civil afin d’évaluer les dommages et intérêts. En 2007, le législateur a ajouté à ce seul principe de réparation intégrale d’autres éléments que le juge peut prendre en compte afin d’évaluer le préjudice subi par la victime avec plus de précision. L’article L.331-1-3 du CPI dispose que « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte ». Le juge n’est désormais plus limité par le principe de réparation intégrale : il peut aussi prendre en considération les bénéfices récoltés par le contrevenant, à l’instar de son voisin outre-Atlantique. Une différence entre droit américain et droit français, qui aurait pu être supprimée en 2007, subsiste cependant. La directive de 2004 permettait aux législateurs d’Europe de condamner le contrevenant au paiement de dommages et intérêts punitifs. Mais le législateur français n’a pas saisi l’occasion et a préféré s’en remettre à l’ « appréciation raisonnable des juges », qui devront décider d’un montant en se fondant sur les critères mentionnés dans l’article L.331-1-3 du CPI.


Le juge américain peut, quant à lui, décider d’octroyer des dommages et intérêts punitifs. Selon le Copyright Act de 1976, en cas de violation de ses droits d’auteurs, un plaignant a le choix entre des dommages et intérêts « réels » et ceux prévus par la loi. Dans le cas ou il opte pour les dommages et intérêts prévus par la loi, le tribunal est compétent pour déterminer le montant de dommages et intérêts qu’il considère « juste ». Ce montant peut varier entre 200$ et 150 000$.
La loi prévoit trois types de violations : ordinaires, innocente, et intentionnelle. Une violation « innocente » est définie comme une violation de la part d’une personne qui n’a pas conscience ou qui n’a aucune raison d’imaginer que ses actes constituent une violation de droits d’auteurs. Dans une telle situation, le tribunal peut réduire les dommages et intérêts jusqu’à 200$. En cas de violation « ordinaire », le juge peut faire varier les dommages et intérêts entre 750$ et 30 000$. Cependant, si la violation est « intentionnelle », ceux-ci peuvent aller jusqu’à 150 000$. Dans sa détermination du montant le plus juste, le tribunal prend en considération un certain nombre de facteurs : les économies réalisées par le contrevenant grâce à son infraction, les profits perdus par le propriétaire des droits, ou encore l’état d’esprit du contrevenant.
Ce troisième facteur pose un certain nombre de problèmes aux tribunaux. En effet, si la loi de 1976 donne une définition plutôt détaillée de la violation « innocente », elle ne donne cependant aucune indication quant à la violation « intentionnelle ». Une seule chose est sûre : l’absence « d’intention » n’est pas synonyme d’ «innocence », et l’absence d’ « innocence » n’est pas suffisant pour établir le caractère intentionnel de l’infraction, car l’affirmation contraire ferait perdre toute utilité à l’infraction « ordinaire » prévue par la loi.

En raison de cette absence de définition, les tribunaux des différents circuits (juridictions territoriales couvertes par une cour d’appel fédérale, recouvrant un ou plusieurs états) peines à s’accorder quant au standard applicable. Pour la majorité d’entre eux, l’intention est présente lorsque l’acte du contrevenant témoigne d’une « grave indifférence » quant aux droits du propriétaire des droits d’auteurs. Mais ce standard est-il approprié au regard des principes généraux du droit américain des droits d’auteurs ? Plusieurs raisons permettent d’en douter.


Celui-ci n’est guère conforme à l’objectif qu’avait le Congrès Américain en adoptant la loi de 1976. En effet, selon le Rapport du Congrès relatif à la loi de 1976, les cas d’infractions « innocentes » et « intentionnelles » ne devait être que des situations exceptionnelles. La section 504(c) de la loi dispose que dans des cas exceptionnels, les dommages et intérêts pourront passer de 10 000$ à 50 000$, ou bien être réduits 250$ à 100$, et que les tribunaux disposent d’un pouvoir discrétionnaire dans l’octroi de tels dommages et intérêts. Mais le fait que le Congrès n’ait pas donné beaucoup d’indications quand à la définition de « violation intentionnelle » n’était pas censé donner au Tribunal un pouvoir illimité. En effet, le principe est que lorsqu’aucune précision n’est donné, le Tribunal est censé présumer que le Congrès avait pour objectif que les termes utilisés soient interprétés de la même manière qu’en « Common Law ». En raison de ce principe, les tribunaux américains ne doivent donc pas donner une nouvelle définition au terme « violation intentionnelle », encore moins une définition aussi extensive que celle utilisée ; ils doivent reprendre la définition du droit commun de la « violation intentionnelle » : violation consciente d’une obligation légale. Si les tribunaux appliquaient cette définition, le plaignant devrait prouver que la loi impose un devoir au contrevenant, que le contrevenant était au courant de ce devoir, et que malgré tout celui-ci n’en a pas tenu compte.


Cependant, la définition retenue par les Tribunaux ne requiert pas une telle connaissance de la loi. Jusqu’en 1992, le test jurisprudentiel applicable afin de déterminer si une violation était intentionnelle ou non était celui imposé par le tribunal dans l’arrêt Fitzgerald Publishing Co. v. Baylor Publishing Co. Dans cette décision, le tribunal avait déclaré qu’un contrevenant serait responsable de violation intentionnelle à partir du moment où il avait agit « avec conscience que sa conduite constituait une violation des droits d’auteurs du plaignant ». Le tribunal avait donc ici utilisé la définition de droit commun de « violation intentionnelle », tel que prévu par le Congrès. Cependant, sans aller jusqu’à considérer qu’une « grande indifférence quant aux droits du propriétaire des droits d’auteurs était suffisante, cet arrêt a aussi posé la base de l’élargissement de la définition dans les affaires suivantes en déclaration qu’une telle conscience de l’illégalité de ses actes par le contrevenant pouvait aussi être présumée. Aujourd’hui, cette définition est toujours utilisée par une minorité de tribunaux (principalement ceux des 9ème et 11ème circuits). Cependant, une grande majorité des tribunaux ont quand a eux énormément agrandi étendu le champ d’interprétation de du terme « violations intentionnelles ».


Dans son arrêt N.A.S. Import, Co. v. Chenson Enterprise, Inc. de 1992, le tribunal a tout d’abord suivi l’interprétation de Fitzgerald, avant d’ajouter que le contrevenant pouvait prouver l’absence d’intention en apportant la preuve qu’il avait agit de bonne foi, avec une croyance raisonnable qu’il n’agissait pas en violation de la loi. Mais le tribunal ne s’est pas arrêté là, et a déclaré qu’il pouvait y avoir violation intentionnelle dès le moment où le contrevenant avait agi avec « grave indifférence quant aux droits du propriétaires des droits d’auteur. En l’espèce, le tribunal avait considéré que le fait que le contrevenant ait simplement ignorer une notice d’infraction (qui, en droit américain, est loin de constituer un preuve que le contrevenant agit effectivement en violation des droits de la personne qui l’émet) était suffisant pour établir une « grave indifférence » quand au droit du propriétaire présumé. De très nombreux tribunaux ont ensuite appliqué cette définition. La violation « intentionnelle » est par conséquent devenu une situation relativement fréquente, bien plus fréquente que ne l’avait prévu le Congrès lors du vote de la loi, permettant aux juges d’octroyer aux détenteurs de droits d’auteurs des dommages et intérêts bien plus élevés qu’ils n’auraient reçu en cas de violation ordinaire de leurs droits. Tant et si bien qu’en 2003, dans son arrêt Island Software & Computer Services, Inc., v. Microsoft Co., la cour a aussi ajouté qu’il y avait violation intentionnelle dès lors que le contrevenant avait agit de manière « volontairement aveugle » quant aux droits du plaignant.


Il est donc plutôt aisé pour les tribunaux américains de condamner un contrevenant à des dommages et intérêts punitifs extrêmement élevés, parfois exorbitant, en raison d’agissement qu’ils considèrent « intentionnels ».
En mettant de côté le manque d’uniformité des tribunaux dans l’interprétation du terme « violation intentionnelle », la seule existence d’une telle responsabilité permettant l’octroi de dommages et intérêts punitifs extrêmement élevé manque de cohérence. En effet, pour ne citer qu’un exemple, un étudiant de l’Université de Boston, M. Tenenbaum, a été condamné en 2003 à une amende de 675 000 $ pour avoir téléchargé et partagé 30 chansons. Cela représente un montant de 22 500 $ par chanson, et par conséquent entre dans la catégorie des violations « ordinaires» de droits d’auteurs. M. Tenenbaum a cependant lui même admis qu’il savait très bien qu’il violait la loi au moment de ses téléchargements. Par conséquent, même en appliquant la définition la plus « laxistes » retenues par les tribunaux américains, c’est a dire la définition de droit commun interprétant « violation intentionnelle » comme signifiant « violation consciente d’une obligation légale », de tels actes entrent clairement dans la catégorie de violation « intentionnelle ». Faut-il en conclure que M. Tenenbaum aurait du être condamné à plus de 30 000$ de dommages et intérêts par chanson, soit minimum une amende de 900 000$ ? S’il fallait appliquer à la lettre les principes dégagés par les juridictions américaines, un étudiant coupable de téléchargement de quelques chansons, et donc de violation intentionnelle, pourrait être condamné à des dommages et intérêts punitifs de près d’un million de dollars.


Une telle décision ne serait jamais permise en droit français, principalement en raison de l’interdiction indirecte des dommages et intérêts punitifs, qui découle du principe de réparation intégral. Une des justification de ce principe réside dans l’organisation même de notre système judiciaire : l’action pénale représente en elle-même une punition suffisante. Cependant, certains prônent une solution similaire à celle adoptée par le droit américain. Certes sans aller aussi loi, mais s’en rapprochant. En effet, selon le Pr. Pollaud-Dulian, l’action en contrefaçon est différence d’une simple forme de l’action en responsabilité civile car « elle ne vise pas seulement à réparer le préjudice causé à l’auteur par les actes de contrefaçon : elle a aussi un caractère de sanction, même sur le terrain civil, et elle a pour objet de rétablir l’auteur dans la plénitude de son monopole en faisant cesser les empiètements ou les usurpations, et de lui restituer l’intégralité de sa propriété intellectuelle, en quoi cette action s’apparente aussi aux actions réivindicatoires ». D’ailleurs, certains juges vont aussi au delà des principes de la responsabilité civile pour donner un caractère dissuasif aux mesures prononcées (uniquement dans le cadre des réparations au titre du préjudice patrimonial).

A plusieurs reprises, même en l’absence d’élément prouvant le préjudice subi par la victime, les tribunaux ont accordé des dommages et intérêts substantiels aux demandeurs en contrefaçon. Par exemple, dans le jugement André Bellamy et autres c. Luxtend France SARL du 4 juillet 2003, le TGI de Paris a relevé que la société demanderesse n’avait « produit aucun document de quelque nature que ce soit pour justifier de son préjudice », qu’elle n’avait « procédé à aucune saisie-contrefaçon dans les locaux qui lui aurait permis d’appréhender certains documents comptables ». Cependant, le tribunal a toutefois accordé 7000 euros de dommages et intérêts à la société titulaire du droit de brevet, et 10000 euros au licencié exclusif. De même, la Cour de Cassation a elle-même rappelé que les juges disposaient d’un pouvoir souverain d’appréciation du préjudice. Dans un arrêt du 14 juin 2005, un contrevenant condamné en appel avait soulevé le moyen selon lequel les sommes allouées étaient excessives au regard du préjudice subi, en déduisant une violation de l’article 1382 CC. La Cour de Cassation avait rejeté ce moyen en énonçant : « sous couvert de violation de la loi, le pourvoi ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par les juges du fond de l’évaluation du préjudice ».
Le droit américain et le droit français sont donc relativement similaires en ce qui concerne l’établissement de l’infraction, puisque les deux systèmes considèrent qu’il y a contrefaçon même en l’absence de faute de la part du contrevenant. Cependant, alors qu’une telle faute peut coûter très cher au contrevenant américain en raison de la possibilité de se voir condamné à des dommages et intérêts punitifs, le risque est moindre pour le contrevenant français qui ne pourra se voir condamné qu’à la réparation intégrale du préjudice subit par le plaignant ou bien au remboursement des profits perçus grâce à la contrefaçon.
 

Bibliographie

Droit américain

           Sources législatives

Copyright Act 1976, Section 501

House Report n° 94-1476

 

            Jurisprudence

Fitzgerald Pub. Co. v. Baylor Pub. Co., 807 F.2d 1110 (2nd Cir., 1986).

N.A.S. Import, Co. v. Chenson Enterprises, INc., 968 F.2d 250 (2nd Cir., 1992)

Island Software & Computer Services, Inc. v. Microsoft Corp., 413 F.3d 257 (2nd Cir. 2005)

Sony BMG v. Tenenbaum (1rst Cir. 2011)

 

Droit français

           Sources législatives

Code de la propriété intellectuelle

Article L.335-2 al 1

Article L. 331-1-3

 

Code Civil

Article 1149

Article 1382

Loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 Loi de lutte contre la contrefaçon, http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000279082&dateTexte=

           

           Jurisprudences

TGI Paris, 4 Juill. 2003, André Bellamy et autres c. Luxtend France SARL, PIBD 2003, 774-III-534.

Cass. Com, 14 juin 2005, pourvoi n°03-14167.

 

            Articles

A. Blondieau, L’indemnisation des préjudices causés par la contrefaçon, 2008. URL : http://www.blondieau-avocats.com/2011/11/l%E2%80%99indemnisation-des-pre...http://www.blondieau-avocats.com/2011/11/l’indemnisation-des-prejudices-resultant-de-la-contrefacon/

Le droit d’auteur – la contrefaçon, 29 octobre 2010. URL : http://www.connaitremesdroits.fr/la-personne-les-actes-civils/le-respect-de-lintegrite-physique-et-morale/le-droit-dauteur.html?start=4

Maître A. Hawrylyszyn, La contrefaçon, 2 novembre 2011. URL : http://www.concurrence-deloyale.info/actualites/la-contrefacon.html.

 

Droit européen

Directive n°2003/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle