Etiquette "laicité"

La vision de la laïcité consacrée en 2017 par la CJUE dans les arrêts Achbita et Bougnaoui est directement inspirée du modèle français, dont la laïcité a souvent pris une tournure ambitieuse et envahissante au cours des trente dernières années. En France, l’affaire Baby-Loup est une illustration parmi d’autres d’une laïcité qui tend à reléguer la religion dans le for intérieur seul de l’individu, en empiétant même sur certaines sphères privées (les entreprises), où les expressions religieuses étaient, contrairement aux institutions publiques, traditionnellement libres d’entraves. Cette conception française, désormais reprise à son compte par l’Union Européenne, semble s’écarter de ladite « tradition commune » des Etats-membres - à laquelle la CJUE se réfère pour dégager des principes généraux du droit communautaire. La « laïcité à la française », reprise par de rare pays non-européens, est en effet connue dans le monde entier pour sa particularité, et sa sévérité. Ainsi le Royaume-Uni, bien qu’ayant vocation à sortir de l’Union Européenne et de la compétence de la CJUE suite au Brexit, a une vision radicalement différente de la liberté de religion et de la neutralité de ses sujets. Cette vision tend elle aussi à accorder une large marge de manœuvre dans le privé, mais les motifs n'en sont pas moins différents.

 

Alors que la liberté religieuse bénéficie, en Italie, d’une pleine reconnaissance constitutionnelle, il n’en ait pas de même pour la liberté de conscience. Le principe de laïcité ne figurant pas explicitement dans la Constitution, il est revenu à la Cour constitutionnelle de le définir. La question du crucifix dans les espaces publics au regard du principe de laïcité a été source d’une dysharmonie jurisprudentielle. L’intervention de la Cour européenne des droits de l’Homme montre les difficultés soulevées par cette question.

En France, la laïcité permet de restreindre la liberté religieuse dans l’enceinte scolaire. La CEDH a reconnu la compatibilité de l’interdiction du voile à l’école avec la liberté de religion (Art. 9 CESDH). En Allemagne, il n’existe pas d’équivalent à la laïcité et le seul le principe de Neutralité s’applique, qui garantit plus la liberté religieuse, qu’il ne l’a restreint. Il en découle que le port du voile à l’école n’est pas traité de la même manière par les deux pays. Une jeune élève a été exclue de son collège pour avoir refusé de retirer son foulard au cours d’éducation physique et sportive (EPS). Elle saisit la CEDH en estimant que l’établissement scolaire s’était ingéré dans l’exercice de son droit à manifester sa religion (art. 9 CESDH). Dans sa décision, la Cour a eu à se prononcer sur la compatibilité de l’interdiction du port du voile islamique dans un établissement scolaire public français avec le principe de liberté religieuse. Elle réaffirme ainsi sa position à l’égard du principe de laïcité, déjà exprimée dans l’arrêt du 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie. Au point 72 de l’arrêt, la CEDH énonce qu’une attitude ne respectant pas le principe de laïcité « Ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion, et ne bénéficiera pas de la protection qu'assure l'article 9 de la Convention». Dans sa décision, la Cour procède à une analyse complète de la laïcité dans sa spécificité française et rappelle qu’ « En France , la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l'ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale, en particulier à l'école.» (§72). Elle conclut que «Eu égard aux circonstances, et compte tenu de la marge d'appréciation qu'il convient de laisser aux Etats dans ce domaine, l'ingérence litigieuse était justifiée dans son principe et proportionnée à l'objectif visé » (§77). La lecture de l’arrêt Dogru peut mener à la question suivante: la solution donnée aurait-elle été différente si les faits s’étaient produits en Allemagne. Le voile, en effet, ne semble pas agiter la société et générer de virulents débats Outre-Rhin. Ainsi, dans cette étude, il s’agira moins de faire un commentaire de l’arrêt, que de comparer le principe de laïcité en France et en Allemagne et ses enjeux à l’école. La CEDH nous en fournit prétexte.

L’arrêt du Conseil d’Etat italien en date du 13 février 2006 (sentenza n°556, http://www.meltingpot.org/articolo7051.html) s’insère dans une évolution jurisprudentielle lente de la part les plus hautes instances judiciaires sur le sujet de la laïcité de l’Etat italien. Cet arrêt pose le problème de la présence de crucifix, dans certaines salles de classes d’établissements publics.